"En France, parallèlement au recul des services publics, s'est implantée une politique de renforcement de la sécurité et de la répression face à la menace terroriste, aux troubles sociaux et à la crainte d'une crise migratoire alimentée par le repli sur soi", résume dans son rapport publié mardi cette autorité indépendante chargée notamment de défendre les citoyens face à l'administration.
L'institution, dirigée depuis presque cinq ans par l'ancien ministre de droite Jacques Toubon, est toujours plus sollicitée: avec un total de 96.000 dossiers en 2018, le Défenseur des droits a vu les réclamations augmenter de 6,1% sur l'année et de 13% sur deux ans.
"La réalité que le Défenseur raconte depuis des années dans ses rapports n'a pas commencé le 17 novembre", première journée d'action nationale des "gilets jaunes", explique M. Toubon à l'AFP. Mais les réclamations adressées à l'institution reflètent le "sentiment d'injustice et d'inégalité qui est celui qui ressort du mouvement des +gilets jaunes+".
"Suspicion"
Dans son rapport 2018, qui couvre la période d'éclosion du mouvement social, l'institution s'interroge notamment sur "le nombre +jamais vu+ d'interpellations et de gardes à vue intervenues +de manière préventive+" lors de certaines manifestations.
Selon l'institution, les directives des autorités pour gérer la contestation sociale "semblent s'inscrire dans la continuité des mesures de l'état d'urgence", décrété après les attentats jihadistes du 13 novembre 2015.
Ce régime d'exception, resté en vigueur pendant deux ans et dont certaines dispositions ont été conservées dans la loi, a agi comme une "pilule empoisonnée" venue "contaminer progressivement le droit commun, fragilisant l'État de droit", estime le rapport.
Pour le Défenseur, il a "contribué à poser les bases d'un nouvel ordre juridique, fondé sur la suspicion, au sein duquel les droits et libertés fondamentales connaissent une certaine forme d'affaissement".
L'institution, qui a ouvert plusieurs enquêtes sur le maintien de l'ordre des récentes manifestations, a d'ailleurs constaté en 2018 un bond de près de 24% des réclamations liées à "la déontologie de la sécurité", dont la majorité concerne l'action de la police.
Mais sur les 1.520 réclamations à ce sujet, les manquements à la déontologie de la part de policiers, de gendarmes ou de gardiens de prison concernent "moins de 10% des cas", a précisé M. Toubon devant la presse.
Depuis janvier 2018, le Défenseur prône par ailleurs l'interdiction du LBD et de la grenade de désencerclement GLI-F4, deux armes controversées accusées d'avoir blessé, parfois grièvement, des "gilets jaunes".
Sans ces armes, "il restera les armes de poing ou le contact physique" dans les moments d'émeute, a rétorqué mardi le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, agacé que M. Toubon fasse "la tournée des plateaux pour parler de ces sujets-là".
"J'aimerais que le Défenseur des droits ne néglige jamais les droits des forces de l'ordre", a-t-il ajouté.
Pression budgétaire
Selon le Défenseur, la logique sécuritaire imprègne également le droit des étrangers.
Procédure durcie par la loi asile et immigration de 2018, utilisation injustifiée du gaz lacrymogène lors d'évacuations de campements, "atteintes persistantes" au droit des mineurs étrangers: la France mène "une politique essentiellement fondée sur la +police des étrangers+, reflétant une forme de +criminalisation des migrations+".
En pleine campagne pour les élections européennes, l'institution recommande que "la France suspende l'application du règlement" de Dublin, qui permet de renvoyer les demandeurs d'asile dans le premier pays où ils ont déposé leurs empreintes. Ce cadre, difficilement suivi en Europe, "donne lieu à de nombreuses réclamations, complexes", rappelle-t-il.
En 2018, ce sont toutefois les réclamations liées aux services publics qui ont, dans une très large part (93%), le plus occupé le Défenseur des droits: retards dans le versement de certaines retraites, suppression du guichet dans les préfectures pour délivrer le permis de conduire, "déserts médicaux"...
La pression budgétaire sur les administrations et leur dématérialisation "à marche forcée" inquiète l'institution, qui alerte sur "l'exclusion numérique". Environ 7,5 millions de personnes restent "privées d'une couverture internet de qualité", rappelle-t-elle.
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