Le vent de contestation qui souffle sur Alger ravive à Tunis les souvenirs de l'euphorie de 2011, quand de gigantesques manifestations avaient poussé à la fuite le président Zine el Abidine Ben Ali, et entraîné dans leur sillage des révoltes ayant provoqué la chute d'autres régimes arabes réputés inamovibles.
Samedi, plusieurs organisations de la société civile ont organisé une manifestation de solidarité, qui a rassemblé une centaine d'Algériens et de Tunisiens chantant à l'unisson avec les manifestants en Algérie leur opposition à un 5e mandat du président Abdelaziz Bouteflika.
Une mobilisation limitée dans un pays qui considère l'Algérie, pays de 41 millions d'habitants, comme une "grande soeur".
La Tunisie partage plus de 1.000 kilomètres de frontières avec l'Algérie, son seul voisin avec la Libye.
"La Tunisie démocratique fait profil bas car elle n'a ni les moyens ni l'ambition d'exporter son modèle", estime le politologue tunisien Hamza Meddeb.
Seul pays rescapé du Printemps arabe, la Tunisie poursuit tant bien que mal une démocratisation marquée par des crises politiques et économiques.
Si les soulèvements de 2011 ont mis fin à certains régimes arabes autoritaires et répressifs, en Algérie l'opposition est marginalisée mais pas systématiquement réprimée. La population dispose d'une marge d'expression.
C'est l'annonce de la candidature de M. Bouteflika pour un cinquième mandat qui a déclenché le 22 février des manifestations de protestation inédites depuis l'arrivée en 1999 au pouvoir du chef de l'Etat, âgé de 82 ans et très diminué depuis un grave AVC en 2013.
Craintes du scénario libyen
Samedi, lors de la manifestation à Tunis, Aouoicha Bekhti, une militante et avocate algérienne de passage, affirme: "il y a déjà le précédent tunisien, il y a eu aussi des révoltes en Algérie, cette fois, on ne reviendra jamais en arrière".
"Algérie libre et démocratique = Algérie en sécurité", pouvait-on lire sur une banderole déployée devant les manifestants.
Car une partie des Tunisiens s'inquiète d'une éventuelle déstabilisation de l'Algérie voisine. L'autre pays frontalier de la Tunisie, la Libye, a plongé dans le chaos après sa révolution en 2011 et cela a eu de graves répercussions sécuritaires et économiques sur Tunis.
"Vous savez que les Tunisiens ont souffert du chaos en Libye, donc ils ont peur qu'il y ait un autre chaos en Algérie", explique Alaa Talbi, président du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), une des ONG organisant la mobilisation.
"Je comprends ce silence absurde du reste de la société civile tunisienne mais aussi des partis politiques", ajoute-t-il.
Trois jours après le début de la contestation en Algérie, le président tunisien Béji Caïd Essebsi a déclaré à Genève que le peuple algérien était "libre de s'exprimer comme il l'entend sur sa gouvernance". Avant de nuancer: "Chaque pays a ses propres règles, et je n'ai pas le droit de donner des leçons à qui que ce soit".
Aucun autre responsable tunisien n'a pris publiquement la parole.
Le 1er mars à Tunis, une première manifestation de solidarité avec l'Algérie, non autorisée officiellement, avait été rapidement dispersée par la police. La fermeté de la réaction avait surpris, alors même qu'en Algérie, les manifestants conquéraient les rues.
"Retour de bâton"
Les autorités algériennes et tunisiennes sont liées par une coopération dans la lutte antiterroriste, essentielle pour venir à bout des groupes armés opérant dans les régions montagneuses frontalières, où les attaques et opérations sont récurrentes.
Dans le cadre de cette coopération, le ministre tunisien de l'Intérieur Hichem Fourati était en déplacement en Algérie le 26 février.
La Tunisie dépend en outre de l'Algérie pour sa consommation de gaz naturel, tandis que les vacanciers algériens représentent une part grandissante des touristes.
Et le commerce avec son voisin algérien de l'ouest est crucial, ses exportations ayant souffert de la perte du marché libyen.
La presse tunisienne est elle restée précautionneuse sur la contestation en Algérie.
"Personne ne veut se mettre à dos une partie de la classe politique algérienne", explique M. Meddeb. "Les autorités tunisiennes ne veulent pas laisser croire que la Tunisie prend partie, en montrant un signe même minime de soutien (aux manifestants), pour éviter tout retour de bâton algérien".
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