"Depuis le départ à la retraite de mon médecin, j'ai bien appelé en vain sept à huit généralistes et je suis loin d'être un cas isolé. Alors Gérard, un ami médecin à la retraite m'a proposé de me faire des ordonnances gratuitement. Sans lui je souffrirais en silence", témoigne Joséphine (prénom d'emprunt) une retraitée de 82 ans atteinte notamment d'un cancer à Flers, dans l'Orne, où 18,4% des patients sont sans médecin traitant.
Gérard Meunier, 72 ans, explique en effet avoir repris du service, pour soulager cette amie "en grande souffrance" et "dénoncer une pénurie de médecins décidée de longue date", comme il l'imprime sur ces ordonnances de traitements remboursés sans difficulté.
Officiellement à la retraite depuis deux ans, François Aulombard, 65 ans, reçoit depuis mai 2018 entre 15 et 35 personnes, tous les matins du lundi au vendredi à Carentan-les-marais (Manche) dans ce qu'il considère comme "dispensaire" "de luxe" dans un "pays en voie de sous-développement".
"On voit beaucoup de bébés dont les parents n'arrivent pas à avoir de rendez-vous rapidement", précise Christelle Larose l'infirmière secrétaire qui le soulage des tâches administratives. La moitié des patients reçus sont sans médecin traitant, les autres n'arrivent pas à avoir de rendez-vous rapide avec leur médecin. Selon le Conseil de l'ordre des médecins, près de 17.300 praticiens cumulaient emplois et retraite début 2018, trois fois plus qu'en 2010.
"C'est grave cette pénurie à la campagne. Les médecins sont en ville ou dans le sud. Sans le Dr Aulombard, j'aurais dû aller aux urgences à Saint-Lô (à 30 minutes de Carentan ndlr) pour une bronchite", confie à la sortie du "dispensaire" de Carentan, Geneviève Poisson, 79 ans. "J'ai eu des gens ici qui n'avaient revu aucun médecin depuis mon départ à la retraite il y a deux ans. Ils ne se soignaient plus", constate le médecin salarié de l'hôpital.
Son retour, après plusieurs missions humanitaires en Afrique, "nous a enlevé une énorme épine du pied, lorsque nous avons perdu deux médecins, l'un décédé prématurément et l'autre parti en retraite", renchérit le maire DVD Jean-Pierre Lhonneur, qui "prospecte toujours". L'Agence régionale de santé (ARS) a accordé 160.000 euros d'aide pour 2018 et 2019.
"pas le larbin des jeunes médecins"
Mais le médecin salarié de l'hôpital de Carentan a "failli" démissionné. "J'ai un peu pété les plombs au mois de décembre. Voir 35 personnes en cinq heures, c'est dangereux. J'ai dit à la directrice de l'hôpital +faut absolument être deux+. Elle a mis des annonces partout. Personne", explique le Dr Aulombard. Et janvier a été "affolant", selon Mme Larose.
Sans compter que les jeunes médecins ne font plus les horaires des anciens, relèvent le maire et des pharmaciens. "Je ne suis pas le larbin de ceux qui travaillent comme des salariés à temps partiel", tempête le Dr Aulombard. "Je ne signe que des contrats mensuels", avertit-il.
Avec ses 105.000 habitants, l'agglomération de Laval a eu plus de chance. Depuis juin 2017, douze médecins retraités travaillent un jour par semaine dans un même cabinet. "Cela se passe très, très bien: on est nombreux et on a un temps de travail acceptable pour des médecins retraités", explique le Dr Dominique Hérault, médecin coordinateur de ce projet financé pour trois ans par la Mutualité française.
Mais "on commence à être bien débordés et on n'a répondu qu'à une partie du problème puisque sur les 4.000 patients sans médecin traitant, nous n'avons que 2.700 inscrits", précise le médecin de 68 ans.
Nombre d'élus souhaiteraient que les médecins soient contraints de démarrer leur exercice dans des déserts médicaux. "Ni les infirmières ni les pharmaciens ne s'installent où ils veulent. Mais il ne faut pas rêver, il y a tellement de députés médecins que jamais ils ne feront ça", estime Gwendoline Galou, adjointe centriste au maire de Laval, et pharmacienne.
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