"Rappelez-vous que les corps libèrent des gaz et font soulever la terre, puis quand ils se décomposent davantage, on observe un affaissement", explique-t-elle à un groupe d'une centaine de personnes qui l'accompagnent, sous une chaleur accablante, protégés par des policiers fédéraux armés.
Dans cet Etat de Guerrero, les violences sont courantes entre factions criminelles pour le contrôle des routes du narcotrafic, mais certains groupes pratiquent aussi l'extorsion et des enlèvements.
Maria Herrera, petite femme aux cheveux gris, est l'un des nombreux visages de la quête obstinée des disparus mexicains. On en dénombre plus de 40.000 depuis le lancement en 2006 par l'Etat mexicain d'une offensive contre les cartels qui a abouti à les fragmenter en cellules délictueuses, plus petites et plus violentes.
Dans cette "guerre contre le narcotrafic", la septuagénaire, comme au moins une vingtaine d'autres familles, a vécu une tragédie supplémentaire: en cherchant leurs frères disparus, deux de ses fils ont disparu à leur tour.
Ultime appel
Maria Herrera a eu huit enfants à Pajuacaran, dans l'Etat de Michoacan (ouest), où les seules options pour s'en sortir se limitent bien souvent à l'agriculture ou l'émigration vers les Etats-Unis.
Les Herrera ont tenté autre chose: la vente de vaisselle de porte à porte, puis le commerce de l'or.
Dans le cadre de cette activité, Raul, 19 ans, et Jesus Salvador, 24 ans, se sont rendus dans l'Etat voisin du Guerrero en août 2008, au moment où une rivalité éclatait entre deux groupes de narcotrafiquants.
"Mes frères ignoraient cette information quand ils sont arrivés", explique Juan Carlos, 41 ans, un autre enfant de Maria.
Ils voyageaient avec cinq autres employés et transportaient environ 90.000 dollars en or et en espèces.
Un cartel local les a probablement confondus avec des rivaux et avec l'aide de policiers corrompus les ont fait arrêter puis disparaître, comme ce fut le cas en 2014 avec 43 étudiants d'Ayotzinapa.
Devant l'absence de réponse des autorités, la famille a commencé ses propres recherches, avec l'aide d'enquêteurs privés, sans résultat.
Face aux difficultés financières, deux autres frères, Luis Armando et Gustavo, âgés de 25 et 27 ans, ont repris le commerce de l'or, tout en espérant retrouver leurs frères disparus.
Peu de temps après un ultime appel téléphonique à l'épouse de l'un deux, les deux frères ont été arrêtés par des policiers à Poza Rica, dans l'Etat du Veracruz (est), avant de disparaître à leur tour le 22 septembre 2010, sans laisser de trace.
Trouver les corps
Maria Herrera a depuis longtemps abandonné l'espoir de retrouver ses quatre fils vivants. Mais elle veut au moins retrouver leurs corps.
En 2006, elle a rejoint un groupe cherchant des restes humains dans l'Etat de Veracruz et a depuis appris des techniques utilisées par les médecins légistes. Elle plonge, par exemple, des tiges métalliques dans le sol qu'elle renifle ensuite pour détecter des corps enfouis en décomposition.
Son groupe a retrouvé récemment sept corps lors d'une campagne de recherches de deux semaines.
"Chaque fois que nous nous rendons dans un endroit aussi inhospitalier, cela implique de la souffrance. Nous pensons: qui a entendu leurs cris de douleur ? Qui a entendu leurs derniers mots ? Il n'y avait personne, personne pour les écouter", enrage Maria, le visage baigné de larmes.
"Malheureusement, notre territoire est devenu une énorme fosse commune clandestine", a déploré récemment le ministre-adjoint des Droits de l'Homme, Alejandro Encinas.
Selon les autorités, il y a sans doute plus d'un millier de fosses communes au Mexique. A cela s'ajoute 26.000 corps non identifiés.
Le nouveau gouvernement mexicain a annoncé la mise en oeuvre d'un programme pour rechercher ces dizaines de milliers de disparus, et va créer un nouvel institut de médecine légale doté d'un budget de 20 millions de dollars.
Chercher ses disparus reste une activité risquée. Il y a six mois, la liste tragique de la famille Herrera a failli s'allonger lorsqu'un individu a tenté d'attaquer Juan Carlos, au moment où il organisait une autre brigade de recherche. Mais il a réussi à s'enfuir de justesse.
"Nous continuerons de chercher", prévient Maria Herrera. "Mais de grâce, qu'ils identifient les corps déjà retrouvés" dans le pays.
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