Dans le célèbre musée du Bardo résonnent les cris qui ont eu raison de la dictature, il y a déjà plus de huit ans: "Travail, liberté et dignité!"
Les vidéos des manifestants criant leur colère sous des tirs massifs de gaz lacrymogènes sont tremblotantes: ce sont les premières images du soulèvement et de la répression, souvent prises à la va-vite avec un téléphone portable.
Un enregistrement sonore restitue la folle ambiance, s'achevant par un hurlement "Ben Ali a fui!"
Certains documents sont historiques, comme l'interview intégrale de la mère du marchant ambulant Mohamed Bouazizi. Elle y explique le calvaire du jeune homme, dont l'immolation par le feu le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid fut le déclencheur de la révolte.
A l'époque, la diffusion par des chaînes étrangères de l'entretien avait participé à l'embrasement.
"Ben Ali dégage!"
L'exposition "Before the 14th" ("Avant le 14"), jusqu'au 30 mars à Tunis, puis jusqu'au 30 septembre à Marseille, en France, rassemble ces témoignages directs retraçant les 29 jours ayant conduit à la chute du dictateur.
Elle décrit les précédentes mobilisations, dès 2008, puis les premières régions à se soulever mi-décembre 2010 -Sidi Bouzid et Kasserine, jusqu'à la marée humaine scandant "Ben Ali dégage!" au coeur de la capitale.
La diffusion de ces images sur les réseaux sociaux a transformé le désespoir d'un marchand ambulant en une révolution contagieuse, qui a bouleversé le sort du Moyen-Orient.
Mais nombre d'entre elles n'étaient conservées que dans l'historique de ces réseaux sociaux ou sur des téléphones portables.
Des militants et chercheurs ont ainsi tiré la sonnette d'alarme, signalant qu'un grand nombre d'images et de vidéos publiées sur internet aux moments des faits étaient en train de disparaître.
Un collectif d'associations s'est alors constitué, et il a collaboré avec des institutions comme la Bibliothèque nationale pour recenser et recueillir photos, vidéos, mais aussi blogs, slogans, poèmes, communiqués, statuts Facebook, auprès de citoyens à travers le pays, avec des formulaires identifiant lieux, dates, et auteurs.
Des dizaines de photos exposées dans la première mouture de l'exposition se sont avérées être des photos de presse, prises par des professionnels.
Mais elles ont depuis été remplacées par d'autres issues du fonds des archives de la révolution qui contient près de 2.000 photos et vidéos majoritairement prises par des acteurs et témoins des évènements, dont les prémisses furent compliqués à couvrir.
"Défi technique"
Après quatre ans de travail, ce fonds est désormais conservé pour la postérité aux Archives nationales.
"Il y a un défi technique, scientifique et méthodologique dans la recherche et la vérification du contenu numérique publié par son auteur qui avait bravé à l'époque la censure", explique l'historienne et membre de la commission organisatrice de cette exposition, Kmar Ben Dana.
"Notre approche doit être fiable" pour permettre "dans l'avenir d'écrire l'Histoire en se basant sur ces archives. C'est un traitement sans précédent, car il s'agit de matière numérique", poursuit-elle.
Pour cette historienne, le but "n'est pas d'écrire une version officielle de l'histoire (...), c'est une tentative pour une réconciliation entre la mémoire et l'Histoire".
Au-delà des archives, il s'agit de sauvegarder le processus même de la révolution, qui a fait naître d'immenses espoirs inassouvis, au point de faire regretter le dictateur déchu chez certains Tunisiens.
"Nous espérons que cela va contribuer à montrer que la révolution a été un évènement extrêmement positif, extrêmement libérateur. (...) Même si nous sommes, aujourd'hui, dans des difficultés politiques et économiques qui peuvent faire oublier cette grande explosion politique", dit Mme Ben Dana.
Au Bardo, Hassen Tahri, 22 ans, cherche à comprendre ce qui s'est vraiment passé lorsqu'il n'était qu'un collégien.
"J'étais très jeune et je ne me souviens pas de grand-chose, mais à travers cette exposition, on peut reconstituer l'enchaînement des évènements", explique-t-il à l'AFP.
"Cela nous rappelle les souvenirs des 13 et 14 janvier, lorsque nous ne savions pas ce qui se passerait, surtout après (la) fuite" de Ben Ali, poursuit cet étudiant de la banlieue de Tunis.
Pour une autre visiteuse, Hiba Jebali, étudiante de 21 ans, "c'est important que les jeunes comprennent ce qui s'est passé exactement, parce qu'ils sont l'avenir du pays".
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