"Le rôle de l'Etat, c'est d'être acteur, pas observateur": voilà comment le ministre de l'Economie Bruno Le Maire avait défini à l'automne 2017 la stratégie économique de l'exécutif, dans un discours à l'allure de feuille de route industrielle et politique.
Une prise de position surprenante pour un élu considéré durant la campagne présidentielle comme le plus libéral des candidats à la primaire de la droite, mais justifiée selon l'intéressé par le patriotisme économique.
L'objectif du gouvernement, "c'est de préserver nos intérêts stratégiques quand ils peuvent être menacés" et "d'investir dans l'avenir", avait prévenu le ministre, disant assumer une approche interventionniste.
Projet de mariage avec Siemens pour le groupe ferroviaire Alstom, recherche d'un repreneur pour l'usine Ascoval de Saint-Saulve (Nord) et pour le site Ford-Blanquefort (Gironde)... Ces derniers mois, le gouvernement a ainsi multiplié les offensives, aux côtés des syndicats ou des patrons.
"L'Etat s'est beaucoup investi" dans les dossiers industriels, mais "de façon assez fidèle au +en même temps+ prôné par Emmanuel Macron: aider l'industrie traditionnelle tout en accompagnant l'essor des start-up", souligne Elie Cohen, chercheur au CNRS.
Coups de menton
Cette implication, à coups de réunions avec les syndicats et de tours de table avec les chefs d'entreprise et les investisseurs, s'est parfois traduite par des coups de menton, principalement dans le dossier Ford.
Pour convaincre le groupe américain de céder son usine de Blanquefort, Bruno Le Maire a ainsi été jusqu'à appeler son homologue américain Steven Mnuchin, puis à menacer de nationaliser provisoirement le site afin de le revendre à l'unique candidat à la reprise: Punch Powerglide.
Las. Jeudi, le constructeur automobile, insensible aux pressions de l'exécutif, a rejeté une nouvelle offre déposée par le groupe Punch, scellant quasi définitivement le sort de l'usine girondine et de ses 850 salariés.
Du côté d'Ascoval, les perspectives ne sont guère plus réjouissantes: Altifort, repreneur de l'aciérie depuis le 1er février, a admis jeudi ne pas disposer des financements promis pour relancer le site, suscitant le dépit des 281 salariés et la colère de Bercy.
"Altifort a trompé tout le monde", a dénoncé l'entourage de Bruno Le Maire, déjà échaudé par le veto mis par Bruxelles, début février, au projet de fusion Siemens-Alstom, jugé non conforme aux règles de concurrence européenne et contraire aux intérêts des consommateurs.
"en mal d'imagination"
Pour l'exécutif, qui a fait du maintien de l'activité industrielle un objectif prioritaire, cette série de revers est un coup dur. Un "coup" d'autant plus difficile à digérer qu'il donne une impression d'impuissance dévastatrice en termes d'image.
"L'Etat semble en mal d'imagination ou sans volonté réelle de se confronter à la multinationale Ford ou sans moyen réel", a regretté vendredi dans un communiqué la CGT Blanquefort, pour qui la fermeture du site serait une "catastrophe pour la région".
Pour Eric Chaney, de l'Institut Montaigne, "le gouvernement a été rattrapé par le principe de réalité". "Nationaliser une entreprise qui n'est pas rentable ne sert à rien: les emplois ne seront pas sauvés", estime cet économiste libéral, qui n'entend pas néanmoins accabler Bercy.
"Bruno Le Maire est dans une logique politique plus qu'économique. C'est au demeurant assez compréhensible, car nous sommes dans des circonstances qui ne sont pas ordinaires, avec le mouvement des gilets jaunes et les élections européennes qui arrivent", observe-t-il.
Un avis partagé par Elie Cohen. "La désindustrialisation provoque des ravages au niveau local, tout le monde le sait. Du coup, s'impliquer sur ce sujet est légitime", souligne le chercheur, qui estime -- concernant le dossier Blanquefort -- que "Ford a été particulièrement peu coopératif".
"On peut reprocher beaucoup de choses au gouvernement, mais pas celui de s'être engagé", juge le chercheur. Ce n'est certes pas à l'Etat de devenir sidérurgiste ou de devenir équipementier, mais il est dans son rôle quand il s'agit de chercher un repreneur", ajoute l'économiste.
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