Son cabinet d'avocat avait annoncé sans explication dans l'après-midi que Motonari Otsuru, un ancien procureur qui assurait la défense du bâtisseur de l'alliance automobile Renault-Nissan-Mitsubishi Motors avait "soumis une lettre de démission au tribunal", ainsi que son confrère Masato Oshikubo.
Peu après, remerciant Me Otsuru et son équipe "pour leur implication inlassable", M. Ghosn expliquait "avoir décidé" d'engager Me Junichiro Hironaka, célèbre au Japon, "alors que nous abordons la phase du procès".
"Je suis impatient de pouvoir me défendre, avec vigueur, et ce choix représente pour moi la première étape d'un processus visant non seulement à rétablir mon innocence, mais aussi à faire la lumière sur les circonstances qui ont conduit à mon injuste détention", a-t-il dit dans une déclaration envoyée à la presse.
"Il est probable que MM. Otsuru et Ghosn n'étaient pas sur la même ligne, sans quoi on ne démissionne pas comme cela. En général, les avocats japonais comme maître Otsuru veulent que les clients leur obéissent", a déclaré à l'AFP l'avocat Yasuyuki Takai, qui était lui aussi, comme M. Otsuru, un membre de l'unité spéciale d'enquête du bureau des procureurs de Tokyo.
Me Hironaka, 73 ans, vétéran diplômé de l'université de Tokyo est un habitué des médias qui dénote par rapport à son discret confrère Otsuru. Il a défendu des célébrités et des politiques, des résidents de la région affectée par la catastrophe de Fukushima et travaillé sur des affaires criminelles.
Il a notamment participé avec succès en 2012 à la défense d'un homme politique influent, Ichiro Ozawa, fin stratège électoral accusé d'implication dans une affaire de financements non déclarés de campagne.
"J'ai parlé à M. Ghosn et à sa famille qui m'ont demandé de prendre l'affaire en main, et j'ai accepté", a-t-il déclaré aux journalistes, précisant qu'il épaulerait sur ce dossier son collègue Hiroshi Kawatsu.
M. Hironaka a désormais la délicate mission de défendre l'ancien capitaine d'industrie naguère vénéré dans l'archipel pour avoir sauvé le constructeur japonais Nissan de la faillite, et qui y est aujourd'hui vilipendé.
M. Otsuru n'avait donné depuis le début de l'affaire le 19 novembre, jour de l'arrestation de Carlos Ghosn, qu'une seule conférence de presse. C'était début janvier, le jour où l'ex-patron a pu présenter sa version des faits lors d'une audience au tribunal, devant un public limité de citoyens et journalistes.
Au lieu de soutenir fortement l'innocence que son client clame, Me Otsuru avait alors fait montre d'un flegme contrastant avec la verve des ténors du barreau qu'on peut voir ailleurs. Il avait même tenu des propos pessimistes quant à la durée probable de la détention de M. Ghosn, sous le coup de trois inculpations, pour abus de confiance, et minoration de revenus déclarés de 2010 à 2018.
"De manière générale, dans les cas de déni total des accusations d'abus de confiance, la libération sous caution n'est le plus souvent pas approuvée jusqu'à l'ouverture du procès", avait dit l'avocat, précisant "avoir fait part de ses inquiétudes sur ce point à M. Ghosn qui s'est dit très ennuyé".
Et d'ajouter alors qu'un "délai de six mois au moins pourrait être nécessaire avant d'en arriver au procès".
Veille d'une audience
Depuis, toutes les demandes de libération sous caution déposées par M. Otsuru ont été rejetées.
"La façon dont M. Otsuru a procédé en faisant ces multiples requêtes contredisait un peu ces propos" selon lesquels la probabilité de faire sortir son client était faible, souligne M. Takai.
Le changement de défenseur de M. Ghosn intervient à la veille d'une première réunion entre avocats, juges et procureurs pour préparer le procès.
"Les avocats ont la possibilité d'en demander le report", précise M. Takai.
Lors d'un entretien accordé fin janvier à l'AFP dans un parloir de sa prison de Kosuge, au nord de Tokyo, l'homme d'affaires franco-libanais-brésilien avait fustigé sa détention prolongée, une situation qui ne serait "normale", selon lui, "dans aucune autre démocratie".
Il s'était alors dit victime d'un complot ourdi par la direction de Nissan et "seul face à une armée" qui veut "détruire sa réputation".
Alors que M. Ghosn a désormais été déchu de ses mandats de président de Nissan et Mitsubishi Motors et qu'il a démissionné de son poste de PDG de Renault, les enquêtes se poursuivent à son sujet chez les constructeurs ainsi qu'au sein de l'Alliance.
Après les multiples accusations émanant de Nissan, Renault a annoncé à son tour la semaine passée la transmission à la justice d'informations sur un avantage en nature d'une valeur de 50.000 euros dont aurait profité M. Ghosn en s'appuyant sur un contrat de mécénat entre Nissan et le château de Versailles.
L'Alliance, elle, essaie de recoller les pots cassés: le président de Renault est attendu cette semaine à Tokyo pour y rencontrer les dirigeants de Nissan.
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