Après deux mois d'incarcération pour des malversations financières présumées, le bâtisseur de l'alliance automobile Renault-Nissan-Mitsubishi Motors a clamé son sentiment "d'injustice", derrière la vitre le séparant des deux journalistes dans une petite salle de la prison.
"J'ai face à moi une armée chez Nissan, des centaines de personnes se consacrent à cette affaire, 70 au bureau du procureur et je suis en prison depuis plus de 70 jours. Je n'ai pas de téléphone, pas d'ordinateur, mais comment puis-je me défendre ?", a-t-il dit au cours de sa première interview à des médias non-japonais depuis son arrestation choc du 19 novembre.
Pendant la période de sa garde à vue, il n'avait droit qu'aux visites de ses avocats et du personnel consulaire de la France, du Liban et du Brésil, les trois pays dont il détient la nationalité. Mais le tribunal autorise désormais durant sa détention provisoire d'autres entrevues, limitées en nombre et durée (15 minutes).
"Puni"
Vêtu d'un jogging noir en polaire, et de sandales en plastique légèrement translucide, l'homme est arrivé au parloir d'un pas décidé, gardant son autorité de PDG, même s'il se dit "désavantagé" et "fatigué".
"Je suis concentré, je veux me battre pour rétablir ma réputation et me défendre contre de fausses accusations. On m'a refusé la libération sous caution, ce ne serait normal dans aucune autre démocratie du monde", insiste-t-il.
"Pourquoi suis-je puni avant d'être reconnu coupable?", s'interroge-t-il.
Visé par trois inculpations pour abus de confiance et minoration de revenus aux autorités boursières sur la période 2010 à 2018, il rejette toute malversation.
Le magnat de l'automobile espérait auparavant pouvoir être relâché sous caution et s'exprimer à ce moment-là, mais après avoir essuyé plusieurs revers, il a décidé de contre-attaquer dans la presse.
Mercredi, lors d'un entretien accordé au quotidien économique japonais Nikkei, il s'en était déjà pris ouvertement aux dirigeants de Nissan, le constructeur japonais qui l'a fait tomber en diligentant une enquête interne à partir de l'été 2018, après le signalement d'un ou plusieurs lanceurs d'alerte.
Selon lui, on a voulu l'éliminer du jeu car il avait "le projet d'intégrer" Renault, Nissan et Mitsubishi Motors, a-t-il répété jeudi. Il en avait discuté avec le patron de Nissan, Hiroto Saikawa.
"Est-ce un complot, un piège? Il n'y a aucun doute là-dessus. C'est une affaire de trahison. Et il y a plusieurs raisons à cela. Il y avait beaucoup d'opposition et d'anxiété sur le projet d'intégrer les compagnies (Nissan, Renault, Mitsubishi Motors)", explique l'ex-dirigeant de 64 ans.
M. Saikawa a réfuté à plusieurs reprises cette notion de "coup d'Etat+", parlant de "preuves" de malversations qui accablent son ancien mentor qui a, selon le groupe nippon, utilisé l'argent de la société pour s'offrir des résidences luxueuses ou embaucher sa soeur pour un emploi "fictif".
Si Nissan s'est empressé de le révoquer de la présidence du conseil d'administration, suivi de Mitsubishi Motors, Renault l'a longtemps soutenu, arguant de la présomption d'innocence, mais M. Ghosn a finalement démissionné la semaine dernière de son poste de PDG, prenant acte de sa détention prolongée.
La situation de gouvernance temporaire n'était selon lui plus tenable, d'où sa décision de se retirer, mais il aurait voulu avoir la possibilité de se présenter devant le conseil d'administration de Renault pour présenter sa version des faits.
Il pourrait rester en prison jusqu'à son procès, qui n'aura pas lieu avant des mois, selon son équipe de défense. Il risque jusqu'à 15 ans de prison.
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