Déclenchées le 19 décembre par la hausse des prix du pain et des médicaments et les pénuries dans un pays en plein marasme économique, les manifestations se sont transformées en rassemblements quasi quotidiens contre M. Béchir, qui a catégoriquement rejeté leur appel à partir après trois décennies de règne.
Après un appel à manifester à Khartoum et dans d'autres villes du pays jeudi, des Soudanais se sont rassemblés dans le centre de la capitale avant de se diriger vers le siège de la présidence. Mais la police est aussitôt intervenue en tirant des gaz lacrymogènes pour les disperser, selon des témoins.
Dès le matin, des membres de la sécurité ont été déployés le long de la route menant au palais, selon un correspondant de l'AFP sur place. Plusieurs véhicules militaires montés de mitrailleuses ont été stationnés à l'extérieur du palais.
Des manifestations ont également eu lieu dans les villes de Port Soudan et Gadaref (est), selon des témoins.
Ces dernières semaines, les rassemblements ont été systématiquement dispersés par la police.
Depuis le 19 décembre, 24 personnes sont mortes, selon un bilan officiel. Human Rights Watch et Amnesty International parlent d'au moins 40 morts, dont des enfants et du personnel médical.
Environ 1.000 personnes dont des militants, des opposants et des journalistes, ont été arrêtées, selon des groupes de défense des droits humains.
L'ONU "très préoccupée"
A Genève, la Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, Michelle Bachelet, s'est dite "très préoccupée" par l'"usage excessif" de la force "y compris l'usage de balles réelles", par les forces de sécurité contre les manifestants au Soudan.
"Une réponse répressive ne peut qu'aggraver les griefs", a-t-elle affirmé dans un communiqué, en appelant "toutes les parties à s'abstenir de recourir à la violence".
L'Association des professionnels, qui regroupe notamment médecins, professeurs et ingénieurs, est le fer de lance de ces manifestations.
Pour les analystes, ce mouvement représente le plus sérieux défi pour M. Béchir depuis son arrivée au pouvoir en 1989 après un coup d'Etat soutenu par les islamistes.
"Je manifeste et je continuerai à manifester jusqu'à ce que ce régime tombe", a lancé Adel Ibrahim, 28 ans, qui a participé à des manifestations à Khartoum. "Nous protestons pour sauver l'avenir de notre pays".
Après avoir commencé à Atbara (250 km au nord-est de Khartoum), les manifestations se sont rapidement propagées jusqu'à la capitale et au Darfour (ouest).
Les manifestants, qui utilisent les réseaux sociaux pour s'organiser, scandent "liberté, justice et paix" et certains crient "le peuple veut la chute du régime", le slogan du Printemps arabe de 2011.
"Il y a un élan et les gens manifestent tous les jours", souligne le chroniqueur Faisal Mohamed Salih.
Au-delà de la baisse des subventions du pain, le Soudan fait face à un grave déficit en devises étrangères. Les habitants sont confrontés à des pénuries régulières d'aliments et de carburants, tandis que le prix de certaines denrées subissent une forte inflation.
Pour Khartoum, les Etats-Unis sont à l'origine des difficultés avec leur sévère embargo imposé pendant 20 ans au Soudan (1997-2017) qui interdisait au pays de mener des activités commerciales et des transactions financières à l'international.
"Pas de changement du pouvoir"
Mais pour ses détracteurs, M. Béchir est coupable d'une mauvaise gestion économique et de dépenser sans compter pour financer le combat contre plusieurs groupes rebelles du pays.
La sécession du Sud en 2011 a en outre privé le Soudan des trois quarts de ses réserves de pétrole et de l'essentiel des revenus de l'or noir.
"Les manifestations ne conduiront pas à un changement de pouvoir", a martelé lundi M. Béchir. "Il y a une seule voie vers le pouvoir, et c'est celle des urnes. Le peuple décidera en 2020 qui doit le gouverner", a dit le président, 75 ans, dont une troisième candidature à la présidentielle est pressentie.
En 1964 et 1985, des soulèvements populaires avaient mené en quelques jours à la chute du régime en place. Mais, cette fois, les militants ont encore un long chemin à parcourir, estiment les analystes.
"Pour l'instant, (Omar el) Béchir semble avoir la majorité des forces de sécurité de son côté", explique Willow Berridge, spécialiste du Soudan.
Son règne pourrait survivre aux manifestations, juge aussi le centre de réflexion International Crisis Group (ICG) dans un rapport. Mais "ce sera au prix de la poursuite du déclin économique, d'une plus grande colère populaire, de davantage de manifestations et d'une répression plus dure".
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