Le procès se tiendra à quelques dizaines de mètres des bureaux où le viol en réunion se serait produit. Car le 36 quai des Orfèvres, que les services de police ont quitté en 2017 pour s'installer dans le nord de la capitale, est attenant au palais de justice, sur l'Île de la Cité.
La cour d'assises a trois semaines, jusqu'au 1er février, pour comprendre précisément ce qu'il s'est passé dans la nuit du 22 au 23 avril 2014. La touriste, Emily S., et les policiers se sont rencontrés dans un pub irlandais, face au siège de la PJ.
Bière, whisky : l'alcool a coulé à flots et l'ambiance était au flirt. Peu après minuit, la Canadienne, très fortement alcoolisée, et des policiers de la BRI (Brigade de recherche et d'intervention), un service d'élite, se rendaient au "36", pour une visite nocturne des célèbres locaux. Elle y allait en voiture avec Antoine Q., alors que Nicolas R. préférait marcher.
"J'avais beaucoup bu, je me voyais mal rentrer à l'hôtel dans cet état et je pensais qu'en allant dans un commissariat, je me sentirais plus en sécurité", a expliqué aux enquêteurs Emily S., mettant en avant que son père était lui-même policier au Canada.
Mais sur l'heure et demie passée dans les locaux de la police, les versions divergent totalement. La Canadienne, aujourd'hui âgée de 39 ans, est ressortie vers 02H00, sans ses collants, en larmes, en état de choc. "Quatre policiers m'ont violée avec condoms (préservatifs)", a-t-elle raconté, dans ses premières déclarations aux enquêteurs, le 23 avril au matin. Elle a décrit fellations et pénétrations vaginales forcées. Elle parlera ensuite d'au moins trois violeurs.
Les accusés, Nicolas R., 49 ans, et Antoine Q., 40 ans, nient farouchement l'avoir violée. Le premier parle d'une fellation consentie, sans éjaculation. Après avoir démenti tout rapport, le second a reconnu tardivement, des caresses sexuelles dans la voiture, avec une pénétration digitale.
Message compromettant
L'examen médico-judiciaire a révélé notamment une lésion gynécologique traumatique sur le sexe d'Emily S. Les empreintes génétiques des deux accusés ont été retrouvées sur son string.
Un troisième ADN se trouvait sur le sous-vêtement. Malgré une opération de prélèvement sur plus de 100 fonctionnaires de la PJ, cet ADN n'a pu être identifié. Deux caleçons d'Antoine Q. portent l'ADN d'Emily S. mélangé à son sperme.
Sur les téléphones des policiers, SMS et vidéos ont été effacés. Un message compromettant, envoyé par Nicolas R., a été retrouvé sur le portable d'un collègue : "ça est une touseuse (partouzeuse, NDLR), dépêche".
Les experts sont partagés sur la personnalité de la victime présumée. Certains ont posé "une forte réserve" sur la possibilité de s'appuyer sur son seul témoignage. L'expertise toxicologique a révélé qu'Emily S. avait pris anti-dépresseurs et opiacés et consommé du cannabis. Pendant l'enquête, elle a été présentée comme "extravertie", "joviale", "libérée".
En 2016, les juges d'instruction avaient prononcé un non-lieu pour les deux policiers. "Les mensonges des mis en cause s'expliquent plus simplement que les incohérences dans le discours de Madame S.", jugeaient les magistrates.
Mais après un appel du parquet et de la partie civile, les policiers ont finalement été renvoyés aux assises. Les deux parties s'accusent mutuellement d'avoir multiplié les versions et de mentir.
Sophie Obadia, l'avocate d'Emily S., envisage de demander un huis-clos, peut-être partiel. "C'est une épreuve pour elle, cinq ans après les faits. Les confrontations (en 2015) ont amplifié son traumatisme", a-t-elle expliqué à l'AFP.
"Mon client est combattif et impatient que son innocence soit reconnue", a déclaré l'avocat de Nicolas R., Sébastien Schapira.
Les accusés, qui comparaîtront libres sous contrôle judiciaire, encourent 20 ans de réclusion criminelle.
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