A la barre, les témoignages de ces anciens scouts de la paroisse Saint-Luc, près de Lyon, que le père Bernard Preynat a reconnu avoir agressés sexuellement avant 1991, ont été poignants.
Tous n'ont pas réussi à parler, comme François Devaux, pourtant cofondateur de l'association de victimes La Parole Libérée, à l'origine de la médiatisation de l'affaire. Sa "pudeur" l'a emporté - il regardait par terre en se grattant la tête - face à la présidente du tribunal, Brigitte Vernay.
Mais d'autres ont réussi à livrer "le petit secret" que le prêtre leur avait demandé de garder. Les paroles de Christian Burdet ont particulièrement marqué - "la main qui donnait l'eucharistie est la même que celle qui masturbait".
"Ma victoire, c'est d'avoir pu dire mon sentiment à M. Barbarin. Je l'ai interpellé deux fois, malheureusement il ne m'a pas regardé. Pour moi ça veut dire qu'il savait et qu'il se terre dans son silence", a estimé son frère Didier Burdet, autre victime, en marge de l'audience.
Le père Preynat, mis en examen en 2016, pourrait être jugé cette année. Cette semaine à Lyon, six autres personnes, dont Philippe Barbarin, l'étaient pour ne pas l'avoir dénoncé à la justice quand ils ont été prévenus de ses agissements. Saisi de l'affaire en 2016, le parquet l'avait classée sans suite mais les plaignants ont lancé une procédure de citation directe pour avoir un procès.
Ils y ont dénoncé une "omerta" remontant jusqu'au Vatican, dont un responsable avait été consulté par Mgr Barbarin au sujet du père Preynat. Rome a refusé qu'il comparaisse à Lyon.
"On est dans une tradition du silence, ça fait partie de l'histoire même de l'Eglise catholique", a lancé Me Nadia Debbache pour les parties civiles. "Nous ne sommes pas ici pour faire le procès d'une responsabilité collective qui n'existe pas au plan pénal", a rétorqué Me Jérôme Chomel de Varagnes en défense.
"Nouvelle ère"
Le père Preynat avait été dénoncé dès 1991 à l'archevêque de l'époque par les parents de M. Devaux. Ecarté temporairement à l'époque, le prêtre a pu exercer au contact d'enfants jusqu'en septembre 2015, date à laquelle le cardinal Barbarin lui a retiré tout ministère.
A l'audience, le primat des Gaules a assuré avoir agi "à la seconde" quand un ancien scout, Alexandre Hezez, s'est confié à lui fin 2014. Mais pour ses accusateurs, l'archevêque savait depuis 2010 au moins, quand il convoqua le prêtre pour vérifier "des rumeurs". Il explique n'en avoir pas appris assez, alors, pour le dénoncer: "menteur", lui a répliqué Me Jean Boudot, avocat des parties civiles.
Prudente dans son réquisitoire, soulignant ne soutenir aucun camp, la procureure Charlotte Trabut a réclamé sans le dire une relaxe générale en excluant, chez les mis en cause, toute volonté d'entraver la justice sur la période non couverte par la prescription, c'est-à-dire depuis que M. Hezez s'est confié au diocèse.
Pour le parquet comme pour la défense, ce quadragénaire pouvait porter plainte - ce qu'il fit au final. Dès lors, les mis en cause n'avaient pas à le faire à sa place - ils n'y ont d'ailleurs pas songé, de leur propre aveu.
"L'obligation de dénonciation s'applique si et seulement si la personne est mineure ou en situation de vulnérabilité", a plaidé Me Xavier Vahramian, un de leurs avocats.
Les parties civiles ne font pas la même analyse de l'article 434-3 du Code pénal qui fonde leurs poursuites.
La douleur des victimes, aussi bouleversante soit-elle, "ce n'est pas le droit", a martelé Me Jean-Félix Luciani, qui défend Mgr Barbarin.
A Caen en 2001 et à Orléans en 2018, deux évêques ont déjà été condamnés dans des affaires similaires.
Mais pour les plaignants, l'issue du procès importe peu, l'essentiel étant que l'Eglise entre "dans une nouvelle ère". Jeudi, l'évêque auxiliaire de Lyon, Emmanuel Gobilliard, les a remerciés d'avoir "secoué" l'institution, et le cardinal est allé discuter avec des avocats de la partie civile après la fin de l'audience.
Jugement le 7 mars.
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