"Je dis, cardinal Barbarin, que vous êtes un menteur quand vous dites que vous avez appris en 2014 l'étendue des dégâts", a lancé mercredi Me Jean Boudot lors des plaidoiries au tribunal correctionnel.
Pour lui, "la chose est certaine": l'archevêque de Lyon a su, dès 2010 au moins, ce qu'il en était des agressions sexuelles commises par le père Bernard Preynat sur de jeunes scouts avant 1991.
Face aux avocats, le Primat des Gaules prend des notes, leur jetant un regard de temps à autre.
Au cours de ce procès, dans lequel il est accusé avec cinq anciens membres du diocèse pour non dénonciation d'agressions sexuelles sur mineur, le prélat a soutenu n'avoir eu vent que de "rumeurs" avant de rencontrer pour la première fois une victime du prêtre, Alexandre Hezez, en novembre 2014.
En 2010 pourtant, Mgr Barbarin avait "convoqué" le père Preynat pour obtenir des explications. Mais sans en apprendre assez pour le dénoncer à la justice, selon ses dires.
Les parties civiles sont convaincues du contraire: le prêtre a déclaré à la police avoir répondu aux questions du cardinal pendant "une petite heure".
Ce n'est pas le seul mensonge qu'elles reprochent au primat des Gaules. "Quand le cardinal Barbarin a l'invraisemblable audace de soutenir que c'est grâce à lui que l'action contre le père Preynat est partie, je vous dis qu'il ment encore", martèle Me Boudot.
Mardi à l'audience, Mgr Barbarin s'était levé pour assurer avoir agi "à la seconde" contre le prêtre après sa rencontre avec M. Hezez, en 2014. Et avoir encouragé celui-ci, dont les agressions étaient prescrites, à trouver d'autres victimes, plus récentes, pour pouvoir porter plainte contre le père Preynat.
Là encore, les parties civiles ne le croient pas.
"Tradition du silence"
Elles en veulent pour preuve, notamment, des courriels échangés en 2015 entre l'archevêque et le supérieur hiérarchique direct du prêtre, le vicaire Xavier Grillon, autre mis en cause: ils trahissent leur inquiétude à l'idée que M. Hezez puisse agir en justice.
"Là, vous êtes effectivement en train d'éviter le scandale public", estime Me Boudot. Allusion à une consigne donnée par le Vatican, fin 2014, pour écarter le père Preynat dans la discrétion.
"Qu'est-ce que les paroissiens vont penser ? Voilà la préoccupation du moment (...) Il ne faut pas que ça sorte, il faut que ça reste entre nous", abonde Me Emmanuelle Haziza.
Pour Me Nadia Debbache, "les mentalités n'ont absolument pas changé dans l'Eglise" depuis la condamnation de l'évêque Pican, en 2001 à Caen, dans un dossier similaire, malgré "toute une batterie de textes" incitant à ne plus fermer les yeux.
Pire, "les victimes n'ont pas été protégées et on a donné plus de crédit à (leur) agresseur", en maintenant le père Preynat en fonctions jusqu'en septembre 2015, alors que la hiérarchie catholique avait été alertée dès 1991, assure-t-elle. Le découvrir fut un "choc" pour les plaignants.
"On est dans une tradition du silence, qui fait partie de l'histoire de l'Eglise catholique", juge encore l'avocate.
En 2016, saisi par des victimes du père Preynat d'une plainte pour non-dénonciation d'agressions sexuelles et omission de porter secours visant les six mis en cause, le parquet avait classé l'affaire sans suite. Mais les plaignants ont lancé une procédure de citation directe pour avoir un procès.
La défense soutient que l'infraction de non-dénonciation n'est pas constituée, dès lors que les victimes étaient en capacité de porter plainte elles-mêmes. Mais pour les avocats des parties civiles, celles-ci étaient enfermées dans la honte et le silence; la parole ne s'est "libérée" que lorsque l'une d'elles a eu le courage d'agir en justice.
"Après 30 ans, 40 ans, ces souffrances sont si actuelles (...) A chaque fois que l'un d'eux est venu parler à la barre de ses souffrances, les autres se sont recroquevillés sur eux-mêmes car cela réveillait un traumatisme", souligne Me Debbache.
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