Depuis 2016, "le sujet n'est plus tabou", affirme à l'AFP Olivier Bobineau, sociologue des religions. Selon lui, il y a eu "une prise de conscience, à trois niveaux: au niveau des fidèles dans les paroisses, où les langues se délient; au niveau des prêtres, où on parle de la pédophilie lors d'une homélie, dans les conseils presbytéraux par exemple; et enfin au niveau des évêques, où la question est abordée, avec des accords et des désaccords".
"En 2016, ce qui est nouveau, c'est que des victimes se mettent à parler, dans l'élan de la Parole libérée", affirme Mgr de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims. La Parole libérée est l'association de victimes à l'origine des révélations sur le passé pédophile du père Preynat et qui vaut à l'archevêque de Lyon le cardinal Barbarin une citation directe devant le tribunal lundi.
"On découvre alors la violence que cela représente pour les victimes. On réalise qu'elles n'oublient pas, ce qui change la manière dont on va traiter ces affaires", ajoute-t-il.
Au printemps 2016, l'épiscopat s'engage à faire "toute la lumière" sur les affaires de pédophilie, y compris les cas anciens, annonçant plusieurs mesures: messagerie pour les victimes et les témoins, cellule permanente dédiée, commission d'expertise sur les parcours des prêtres, site internet, cellules d'écoute dans les diocèses, formation...
Dans un contexte plus large de révélations de nombreux scandales à l'étranger, et après la lettre cet été du Pape François condamnant toutes formes d'abus, les évêques de France réunis à Lourdes à l'automne ont accueilli pour la première fois des victimes, et publié de premiers recensements sur les signalements ou les clercs mis en cause.
Ils ont aussi annoncé la création d'une commission d'enquête indépendante présidée par Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d'Etat, qui a deux ans pour faire la lumière sur les abus sexuels sur mineurs dans l'Eglise depuis 1950.
"Sous la pression"
"Ces mesures sont bonnes mais laissent l'impression qu'elles n'ont été souvent décidées que sous la pression et dans le but de garder les évêques en place", estime le père Vignon, curé du Vercors, très engagé aux côtés des victimes et auteur cet été d'une pétition réclamant la démission du cardinal Barbarin.
Stéphane Joulain, prêtre psychothérapeute qui a accompagné des victimes, juge que "l'Eglise de France a pris la mesure qu'il fallait faire quelque chose, mais n'a pas de cohérence globale. On a l'impression que certains vont de l'avant, d'autres traînent la patte".
Pour François Devaux, cofondateur de la Parole libérée , "l'électrochoc a du mal à arriver". Son association ne s'est pas rendue à Lourdes à l'automne, estimant qu'il s'agissait d'une "opération de communication". D'autres victimes cependant y ont vu "une prise en considération", et attendent désormais des actes forts.
"La curie date de 1089. Cela fait des siècles que cette institution ne pense qu'à se préserver", rappelle Olivier Bobineau. "Le tabou se lève. Au regard de l'institution, cette prise de conscience est remarquable, même si c'est insuffisant".
D'autres voix voudraient aller bien plus loin. Comme Christine Pedotti, directrice de la rédaction de Témoignage chrétien, à l'initiative cet automne d'un appel à la création d'une commission d'enquête parlementaire sur la pédophilie dans l'Eglise - qui s'est soldé par une fin de non-recevoir des sénateurs.
Elle reconnaît que "l'Eglise a été obligée de prendre des mesures publiques", mais estime que les évêques "n'ont pas pas réalisé que la racine de cette situation très grave, c'est le cléricalisme, la concentration de tout le pouvoir entre les mains de quelques-uns, l'absence de contre-pouvoirs, de régulation, et de consultation au sein de l'Eglise".
Et de lancer : "s'il y a une culture de +l'abus+ (selon les mots du Pape, ndlr), alors c'est une révolution culturelle qu'il faut faire !"
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