Dans la ville d'Al-Bab, contrôlée par des rebelles, près d'une quarantaine de familles venues de la province de Deir Ezzor (est) ont élu domicile dans une vaste cave humide, divisée par des murs de béton en 42 chambrettes sommairement aménagées et éclairées par des néons blafards.
"Une seule pièce nous servant de cuisine, de salle de bain et de chambre à coucher", résume Cédra al-Hassan, 11 ans, qui vit ainsi depuis un an.
Aux premières heures de la guerre qui ravage la Syrie depuis 2011, sa famille fuit les combats dans la ville de Deir Ezzor pour trouver refuge à Raqa, plus au nord, à l'été 2012.
Mais en 2014, la ville tombe aux mains du groupe jihadiste Etat islamique (EI). En novembre 2016, une force arabo-kurde lance une offensive pour reprendre Raqa qui durera un an. Entre temps, Cédra a perdu sa mère et son frère dans des bombardements et en 2017, elle fuit les combats avec son père.
Jetés une nouvelle fois sur les routes de l'exil, ils s'installent 180 km plus loin, à Al-Bab. Pour aider son père dans son quotidien, la jeune fille, qui accuse des années de retard scolaire, ne va pas à l'école. Elle assiste toutefois aux cours prodigués par un des déplacés.
"J'apprends l'alphabet, ça fait quelques jours seulement", dit Cédra, vêtue d'un sweat-shirt rouge et d'un voile couvrant ses cheveux.
Chaque jour, c'est la même routine: "Je fais le lit, je range la chambre et je prépare le petit-déjeuner de mon père". Après sa leçon, il lui faut préparer le déjeuner, avant de pouvoir aller jouer avec les autres enfants.
"Situation catastrophique"
Depuis mi-2017, le sous-sol de 1.000 mètres carrés est gratuitement mis à la disposition des déplacés par un habitant d'Al-Bab. Ses occupants vivent grâce aux dons des associations caritatives.
Dans un coin de la chambre de Cédra et de son père, Mohamed Ali al-Hassan, des couvertures sont empilées près d'un maigre matelas en mousse. Quelques ustensiles de cuisine sont disposés à même le sol.
"La vie dans le sous-sol est très difficile", reconnaît M. Hassan. A Deir Ezzor, il faisait vivre sa famille en vendant des légumes sur une charrette. Mais à Al-Bab, "on n'a rien à faire, pas d'argent", déplore le corpulent quinquagénaire aux cheveux grisonnants.
"L'idée était d'avoir un centre d'accueil le temps que les gens trouvent un logement", explique Abou Abdel Rahmane, un déplacé ayant pour mission de superviser les lieux.
Mais les familles "n'ont nulle part où aller", explique-t-il. A Al-Bab, "les loyers les plus bas sont de 100 dollars. Ceux qui restent sont ceux qui ne peuvent pas payer. Ici, tous les gens sont dans une situation catastrophique".
Installés en territoire rebelle, certains des déplacés soutenant l'opposition craignent des représailles s'ils devaient rentrer dans leur ville tenue par le régime à Deir Ezzor, une province où règne encore l'insécurité et où les destructions de la guerre n'ont pas été effacées.
Veuve à 23 ans
Agenouillé devant une poignée d'élèves, bonnet enfoncé sur le crâne pour se protéger du froid, Abou Omar --qui préfère utiliser un pseudonyme-- écrit au tableau des lettres en arabe. Il prononce les mots à voix haute, que sa classe répète ensuite en choeur.
Après une frappe aérienne sur sa maison à Deir Ezzor, il a été amputé d'une main et les os de sa jambe gauche ont été brisés. Faute de pouvoir travailler, le trentenaire donne bénévolement des cours d'arabe et d'éducation coranique aux enfants du sous-sol.
"Je n'ai pas les moyens de louer un logement. Ici je ne paye pas de loyer et l'eau et l'électricité sont gratuites", explique-t-il.
Père d'une fillette, il habite sous terre depuis huit mois et donne cours à quelque 13 élèves, un chiffre en baisse. "A cause des conditions de vie, les familles sont obligées d'interrompre les études des enfants et beaucoup d'entre eux doivent aller travailler".
Dans un couloir de la cave, les enfants jouent sous le linge qui sèche sur des étendoirs. Les entrées des chambres sont simplement barrées par des rideaux sombres. Derrière l'un d'eux, Oum Ghassak, assise devant un réchaud, prépare son déjeuner.
A 23 ans, elle est veuve. Son époux est décédé après avoir été blessé dans des bombardements. "On n'avait pas d'argent pour le soigner", lâche-t-elle sous son niqab noir. Aujourd'hui, sa fillette de quatre ans et elle se débrouillent comme elles peuvent. "Si personne ne nous aidait, on n'aurait rien à manger".
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