Comme des dizaines de milliers de Cambodgiennes, Laotiennes, Vietnamiennes ou Birmanes, la jeune femme est une victime collatérale de la politique de l'enfant unique mise en œuvre de 1979 à 2015 en Chine, qui a engendré l'un des pires déséquilibres démographiques au monde.
Le pays compte aujourd'hui un surplus de quelque 33 millions d'hommes et le déficit de femmes pousse de plus en plus de célibataires chinois à chercher une épouse de l'autre côté des frontières.
Désireuses de sortir de la pauvreté, forcées par leur famille ou victimes de trafiquants, les raisons pour lesquelles les jeunes filles partent se marier dans l'Empire du milieu sont multiples.
Et si des histoires se concluent par une union heureuse, certaines femmes se retrouvent endettées, incapables de rembourser les frais de mariage, et tombent parfois dans la prostitution.
D'autres, qui se retrouvent sans papiers, sont placées dans des centres de rétention en Chine.
Acheter une épouse au Cambodge coûte entre 10.000 et 15.000 dollars (entre 8.000 et 13.000 euros). La majorité est empochée par les intermédiaires chinois et leurs agents cambodgiens, mais cela couvre aussi souvent une "dot" de 1.000 à 3.000 dollars versée à la famille de la mariée, une somme considérable dans ce pays pauvre.
L'époux chinois de Nary, dont le prénom a été changé à sa demande, a déboursé 10.000 dollars: 3.000 ont fini dans la poche du frère de la jeune femme, qui ne lui a rien reversé, les 7.000 restants ont été distribués entre les différents intermédiaires.
"Ma famille est pauvre et je devais les aider en épousant un Chinois. Alors j'y suis allée", raconte Nary à l'AFP.
Voyageant avec un visa de touriste, elle s'est rendue à Shanghai avec plusieurs autres jeunes femmes. "Nous avons été emmenées dans une maison où d'autres Cambodgiennes attendaient (...) Quelques jours plus tard, des Chinois sont venus faire leur choix", explique-t-elle.
L'argent qu'on lui avait promis n'a jamais été versé et l'époux, présenté par un agent comme "un beau et riche médecin", s'est avéré être un ouvrier du bâtiment.
Un an de détention
Le mariage de Nary a implosé un mois après la naissance de son bébé. La grand-mère de l'enfant a interdit brusquement à sa belle-fille de l'allaiter. Elle "ne me laissait pas le tenir ni même le voir", relate la jeune femme.
La famille a demandé le divorce et Nary a quitté le domicile conjugal, trouvant un emploi dans une usine de verre voisine. Mais son visa ayant expiré, elle a été arrêtée et envoyée dans un centre de rétention pendant un an, avec des dizaines de femmes vietnamiennes et cambodgiennes, piégées dans des situations similaires.
Libérée, elle est parvenue à retourner au Cambodge où elle travaille dans une usine de confection.
Mais elle n'a jamais revu son enfant.
Aucune statistique
Il n'existe aucune statistique officielles sur le nombre de Cambodgiennes parties se marier en Chine. Selon diverses estimations, elles seraient au minimum plusieurs milliers et ce nombre serait beaucoup plus important pour les femmes vietnamiennes, laotiennes ou birmanes.
La Chine s'est dotée de lois interdisant les mariages forcés et, en vertu de la loi cambodgienne, les agents matrimoniaux qui encouragent cette pratique peuvent être condamnés à une peine de 15 ans de prison, une sanction qui s'alourdit si la jeune fille est mineure.
Mais les poursuites restent difficiles à intenter, les intermédiaires allant jusqu'à payer 5.000 dollars pour acheter le silence des jeunes femmes.
"Le mariage avec des Chinois n'est pas une chose mauvaise par nature", relève Chou Bun Eng à la tête du comité cambodgien contre la traite des êtres humains. "Les problèmes commencent quand cela se fait illégalement via des intermédiaires", ajoute-t-elle.
La situation n'est pas meilleure au Laos et en Birmanie. Les deux pays sont pointés du doigt dans le dernier rapport annuel du département d'État américain sur la traite des êtres humains, qui juge qu'"ils ne répondent pas aux normes minimales" de lutte contre ce trafic.
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