Le bureau des procureurs a décidé de mettre en examen le PDG de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors pour avoir omis de déclarer aux autorités boursières environ 5 milliards de yens (38 millions d'euros) de revenus sur cinq années, de 2010 à 2015. Son bras droit Greg Kelly, arrêté en même temps que lui, a aussi été inculpé.
Nissan est également poursuivi en tant qu'entité morale, le parquet jugeant que la responsabilité de l'entreprise était aussi engagée, car c'est elle qui a remis les rapports incriminés aux autorités boursières.
M. Ghosn ne sortira pas de prison: sa garde à vue a été prolongée sur de nouveaux soupçons de minoration de ses émoluments, cette fois entre 2015 et 2018, pour un montant de 4 milliards de yens. Elle peut durer 22 jours à partir de lundi, soit au-delà de Noël.
Le tout-puissant patron est arrivé dans l'archipel le 19 novembre à bord de son jet privé. En l'espace de quelques minutes, son sort a basculé: interpellé par des enquêteurs du parquet sur des soupçons de malversations, le dirigeant âgé de 64 ans a aussitôt été envoyé dans une cellule d'un centre de détention du nord de la capitale.
Quelques jours plus tard, il était limogé de la présidence des conseils d'administration de Nissan et Mitsubishi Motors, sans un mot ou presque pour celui qui les avait naguère sauvés de la débâcle.
"Combatif"
Carlos Ghosn n'est pas au bout de ses peines: le parquet pourrait se pencher sur de possibles abus de biens sociaux que Nissan reproche à son ancien patron, tels que l'usage de résidences de luxe aux frais du groupe.
A ce sujet, le constructeur a indiqué dans un communiqué avoir fait appel d'une décision d'un tribunal brésilien autorisant à des représentants de M. Ghosn l'accès à un appartement situé à Rio de Janeiro, "afin d'empêcher la destruction de preuves éventuelles".
Dans cette affaire, les rumeurs, spéculations, scénarios sont nombreux, et la parole officielle rare si ce n'est, au tout début, celle du patron exécutif de Nissan, Hiroto Saikawa, qui a d'emblée lâché son ancien mentor.
Les procureurs ont pour l'instant communiqué a minima et la défense de Carlos Ghosn, menée par Motonari Ohtsuru, un ex-procureur spécialiste des grandes affaires financières, ne s'est pas publiquement exprimée.
Tout juste sait-on que "le suspect Ghosn", comme l'a rebaptisé la presse nippone, nie toute malversation. "Il est dans un état d'esprit vaillant et combatif", souffle-t-on au siège de Renault, à Boulogne-Billancourt près de Paris, malgré les conditions spartiates de l'établissement où le Franco-libano-brésilien est détenu. Il se dit bien traité, reçoit la visite des ambassadeurs de France, du Liban et du consul du Brésil, et s'occupe à lire livres et magazines quand il n'est pas interrogé par les enquêteurs.
Au cours des auditions, réalisées en anglais et enregistrées selon le quotidien Asahi Shimbun qui avait révélé l'affaire, M. Ghosn aurait reconnu avoir signé des documents mentionnant des paiements qu'il était censé percevoir au moment de quitter le groupe mais il assure, selon la presse, que ces montants n'étaient pas définitivement établis et n'avaient donc pas à être inclus dans les rapports publics de Nissan.
"Le diable" Renault
D'après une source proche des investigations, ce système a démarré après l'entrée en vigueur d'une loi imposant aux administrateurs les mieux payés de divulguer leurs rémunérations. Le but de M. Ghosn aurait été d'éviter les critiques des actionnaires et employés.
Quelle que soit son issue judiciaire, l'affaire laissera des traces dans l'alliance Renault-Nissan née en 1999 et devenue, avec l'apport de Mitsubishi Motors en 2016, le premier ensemble automobile mondial.
Chez Nissan, la mise à l'écart de M. Ghosn a comme libéré la parole et les frustrations ont éclaté au grand jour, transpirant dans les médias japonais où "M. Ghosn et l'Etat français (actionnaire de Renault) sont le diable", résume un analyste du secteur, Takaki Nakanishi. On voit là, dit-il, l'opportunité de "re-japoniser" le groupe et de revoir les termes du partenariat.
A l'inverse, chez Renault, qui possède 43% de Nissan et dont M. Ghosn reste le PDG, c'est toujours l'incrédulité qui domine, la "stupeur", et "des messages de soutien, de respect et même d'affection" lui ont été adressés par la direction, fait-on savoir au siège.
Le constructeur français regrette de n'avoir toujours pas pu obtenir de son partenaire japonais une transmission, d'avocat à avocat, de la totalité des pièces à charge. Selon une source proche du dossier, Nissan est cependant "disposé à le faire dès que possible", cette semaine a priori, "une fois l'inculpation prononcée".
Au Liban aussi, l'interpellation du magnat, symbole de la réussite de la diaspora libanaise, a laissé pantois. "Le phénix libanais ne sera pas brûlé par le soleil du Japon", a même lancé le ministre de l'Intérieur, Nohad Machnouk, tandis que des portraits de l'homme d'affaires s'affichaient dans les rues de Beyrouth, barrés du slogan: "Nous sommes tous Carlos Ghosn".
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