Le prix Nobel de la paix, que le docteur congolais reçoit lundi à Oslo, met un peu de baume au cœur des victimes dans la cité du Sud-Kivu, sur la route défoncée entre Bukavu et Goma, après le cauchemar des années 2013-2016.
Au total, 42 fillettes ont été violées par la milice "Jeshi la Yesu" (l'armée de Jésus) du député provincial Frédéric Batumike, condamné à la perpétuité lors d'un procès retentissant avec onze de ses complices, il y a tout juste un an. Une petite victoire dans l'immense combat contre l'impunité dans cette région du Kivu, agitée par des conflits depuis 25 ans.
Les victimes avaient entre 18 mois et douze ans. "Les miliciens sont entrés de nuit dans la maison familiale", témoigne Adeline, mère de Lucie (prénom changé), 12 ans aujourd'hui, sept ans à l'époque.
Enlevée, l'enfant a été retrouvé le jour suivant, dénudée, en sang, à l'orée du parc de Kahozi Biega, réserve naturelle dans les collines verdoyantes des bords du lac Kivu.
Admise à l'hôpital local, la petite a été transférée en raison de son état à l'hôpital de Panzi du docteur Mukwege, à Bukavu, à 40 km de là.
"Elle a subi plusieurs opérations pendant deux mois", raconte Adeline, 37 ans et huit enfants.
"Des experts venus de l'Europe nous ont certifié qu'elle a été bien réparée", poursuit la mère. Et plus précisément: "Un médecin blanc m'a dit que ma fillette serait une future maman. On avait la crainte."
'Clinique juridique'
Après la chirurgie réparatrice, le Dr Mukwege et sa Fondation Panzi ont participé au procès contre le sinistre député-milicien, avec l'aide de leur "clinique juridique".
Cette métaphore juridico-médicale désigne une équipe d'avocats qui ont apporté les preuves médico-légales fournies par l'hôpital.
"La +clinique juridique+ complète les aspects médicaux", estime l'une de ces avocates, Yvette Kabuho, allusion aux besoins de réparation morale et matérielle des victimes.
Le procès prévoyait d'ailleurs une indemnisation de 5.000 dollars pour chacune des 42 victimes. Les familles affirment n'avoir encore rien reçu.
Une quarantaine de dossiers ou de procès sont en cours, affirme l'avocate. Un an après Kavumu, à Kalehe non loin de là dans le Sud-Kivu, un colonel de l'armée congolaise a été condamné fin novembre à la perpétuité pour des violences sur des civils en juin 2013.
Il y avait "plus de 144 victimes, parmi lesquelles on a identifié 45 victimes de violences sexuelles", énumère l'avocate de la Fondation Panzi. "Nous avons réussi à retenir le chef d'accusation de crime contre l'humanité."
La lutte contre l'impunité a commencé avec le procès Kibibi, un autre colonel de l'armée congolaise, pour des violences sur des civils toujours dans le Sud-Kivu, dans le territoire de Fizi.
A Fizi, des combats sont rapportés ces jours-ci, entre l'armée et une milice. Un motif d'inquiétude pour l'avocate de la Fondation Panzi, qui redoute les conséquences pour les civils et les femmes.
"Je ne peux pas dire qu'il y a du progrès car il y a des milliers de femmes qui ont été victimes de violences sexuelles. Il faudrait que l'on punisse tous ceux qui ont pu perpétrer des viols sur des femmes", ajoute Tatiana Mukanire, coordinatrice du mouvement national des survivantes de violences sexuelles.
La jeune femme souriante, 34 ans, a été elle-même victime de violences sexuelles à Bukavu en 2004, "pendant la guerre". Son bourreau n'a pas été condamné: "ça fait mal".
La jeune femme soignée par Mukwege s'inquiète pour l'avenir de ses "petites sœurs" de Kavumu. Certaines ne pourront pas avoir d'enfants, assure-t-elle en rapportant le cas atroce d'une fillette de cinq ans "qui hurle quand elle pisse".
"Quand elles auront 20 ou 22 ans et qu'elles voudront se marier, là elles devront s'affronter avec la communauté. Les belles-familles, avec nos coutumes discriminatoires, vont dire à leur fils: tu veux épouser une fille qui a été violée, c'est compliqué pour elle. Si elles n'ont pas les moyens pour se prendre en charge, ça sera un problème."
"Je l'ai vécu. Je me suis mariée mais sans mariage civil, car la belle-famille n'est pas d'accord à cause du viol", raconte Tatiana Mukanire.
Le Dr Mukwege, qui refuse tout engagement politique, rentre le 18 décembre à Bukavun, très attendu.
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