Sur la place, une épaisse fumée noire prend à la gorge et obscurcit les dorures du palais Garnier. Une nacelle a été incendiée face au très chic café de la Paix par des manifestants qui ont investi les rues de Paris. Certains pour protester contre la politique fiscale et sociale du gouvernement, d'autres pour en découdre avec les forces de l'ordre.
Toutes les entrées de cette institution parisienne aux boiseries acajou où se terrent quelques clients sont barricadées. "C'est fermé", lance en gesticulant un serveur fébrile à l'intention des nombreux touristes qui espèrent y trouver refuge.
"Nous ne savons pas si nous sommes en sécurité ou pas. C'est angoissant", s'inquiète non loin de là Giselle Rosano, une Brésilienne de 36 ans qui vit à Berlin. Un policier casqué vient de lui intimer l'ordre de rebrousser chemin, un groupe de "casseurs" se dirige vers la zone.
"On pensait que seuls les Champs Elysées étaient concernés", dit cette jeune femme, à propos de la célèbre avenue où ont commencé les heurts en début de matinée.
Abrité du crachin automnal par l'auvent d'un restaurant, un couple de touristes allemands observe avec stupéfaction un Paris métamorphosé. Les camions de pompiers défilent sirènes hurlantes, un hélicoptère effectue un vol stationnaire à proximité. Des tirs de grenades lacrymogènes éclatent au loin.
"Le métro est fermé à Opéra et Concorde. On ne voit pas de bus. On ne sait pas comment rejoindre notre hôtel du Quartier latin", dit Birgit Moeller-Wolf, une fonctionnaire retraitée de 61 ans. "L'air sent mauvais, on a dû interrompre notre balade. Pour des touristes, c'est désagréable".
Elle est arrivée jeudi pour visiter la capitale avec son mari Joachim Wolf, un fonctionnaire de 64 ans, et un couple d'amis. Tous repartent dimanche.
"Nous avions vu à la télévision les manifestations le week-end dernier mais nous pensions que c'était terminé", s'étonne-t-elle.
"Ca fait peur"
"Paris debout, soulève-toi", scande une poignée de manifestants en gilets jaunes à quelques mètres de là. Certains bloquent volontairement l'accès des pompiers dépêchés pour éteindre l'incendie, d'autres insistent pour les laisser passer.
Un peu plus loin, devant les grands magasins du boulevard Haussmann, on assiste à des scènes surréalistes. Les fourgons de police s'alignent devant les vitrines éteintes et les portes des Galeries Lafayette, fermées aux acheteurs mais décorées de guirlandes lumineuses qui fascinent des enfants venus faire des courses avec leurs parents. Des policiers se déploient au carrefour et bloquent le boulevard.
De nombreuses personnes repartent déçues en constatant la fermeture des grands magasins habituellement bondés à l'approche de Noël.
Parmi elles une touriste américaine qui refuse de donner son nom. Que pense-t-elle de tout ce chaos ? "Ca fait peur", lâche-t elle avant de s'éclipser.
"Cela porte atteinte à l'image de tout le pays", observe Carlos Lino, un ingénieur new-yorkais de 60 ans d'origine équatorienne, venu faire des emplettes avec sa femme et son fils.
En vain, tous les magasins du quartier ont baissé leurs rideaux.
A un arrêt de bus, une jeune touriste chargée d'une lourde valise attend désespérément l'autocar pour l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Pas de train, pas de métro, pas de bus, de rares taxi, et son avion décolle dans moins de quatre heures. "Je ne sais pas comment faire, c'est stressant", soupire-t-elle.
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