Au bout de la rue, à l'ombre de lumineux jacarandas en fleurs, plusieurs Renault 4L mais aussi des 2 CV de la marque Citroën, coiffées d'une enseigne "Taxi", attendent les clients.
Relégués à la casse ou entrés dans la légende en Europe, ces véhicules populaires après guerre en France arpentent toujours les raidillons de la capitale malgache et les routes de poussière de la Grande Ile. Au point d'en être presque devenus ses emblèmes nationaux.
Rijason Randrianantoanina, un chauffeur de taxi de 37 ans, est fier de sa "magnifique" "Deudeuche" (le petit nom de la 2 CV, alias "Deux chevaux") qui le fait vivre depuis seize ans maintenant. "Elle a été mise en circulation en 1978, c'est une voiture solide", dit-il.
Oui, la carrosserie montre plusieurs signes de rouille avancée et la jauge à essence ne fonctionne plus, mais "j'ai une jauge dans la tête. Il suffit de s'habituer, c'est tout", explique-t-il avec un naturel désarmant.
Le réservoir de sa 2 CV - couleur crème, comme tous les taxis de "Tana", la capitale - ne contient que 28 petits litres. Et Rijason Randrianantoanina est visiblement bon en calcul mental: il n'est jamais tombé en panne d'essence.
"Elle passe partout... il suffit de la soulever"
Depuis les années 60, de nombreuses 2 CV et 4L ont été importées depuis l'Europe, et notamment depuis la France, l'ancienne puissance coloniale. Mais des modèles ont aussi été assemblés dans la Grande Ile jusque dans les années 80.
C'est précisément là qu'Elysée Rakotondrakolona s'est formé jusqu'à la fermeture de la Société malgache de construction automobile (Somacoa). Il est aujourd'hui le garagiste de référence des 4L à Antananarivo, dans le quartier populaire d'Antoamadinika.
"La 4L, c'était le premier 4X4. Elle passe même là où les 4X4 modernes ne passent pas. Il suffit de trois personnes pour la soulever!", explique-t-il, flegmatique.
Dans son garage à ciel ouvert, coincé entre un salon de "coiffure esthétique" et un marchand de beignets de rue, s'entassent uniquement des carcasses de 4L.
Ici, c'est le règne de la débrouille. "Je prends des pièces de Renault 5 pour le train avant des 4L", raconte Elysée Rakotondrakolona, dans un bleu de travail presque aussi vieux que ses modèles.
"Notre spécialité, nous les Malgaches, c'est que lorsqu'on voit deux pièces qui se ressemblent, on sait les adapter. C'est le système D", assure-t-il.
L'expert ne baisse les bras que dans un cas bien précis: quand la boîte de vitesses est cassée. "Là, il n'y a rien à faire."
"Rien d'électronique"
Increvable ou presque, facile à réparer, économique en carburant: c'est la recette du succès de la 4L et de la 2 CV à Madagascar.
Aucun chiffre n'est disponible mais elles sont à coup sûr des milliers à circuler au quotidien à Madagascar, une île très pauvre de l'océan Indien.
Et peu importe la pollution créée par ces anciens modèles peu compatibles avec des normes écologiques...
Dans le garage d'Elysée Rakotondrakolona, un ouvrier redresse patiemment à petits coups de burin la carrosserie très malléable d'une 4L. D'autres enlèvent le moteur d'un modèle orange pour modifier le châssis.
Bruno Rasolofomanantsoa, cultivateur de riz, a aussi confié au "docteur" Rakotondrakolona son précieux outil de travail, sa fourgonnette 4L, pour qu'il la désosse et greffe son moteur dans une carrosserie de 4L traditionnelle.
"Il n'y a pas de complication dans cette voiture. Tout est manuel, rien d'électronique", explique le quinquagénaire qui transporte avec sa 4L l'engrais dans ses rizières . "Si on a un problème au milieu de nulle part, pour faire un diagnostic, il suffit d'ouvrir le capot."
Riri, chauffeur de taxi, approuve. "Je la répare moi-même, j'ai appris sur le tas." Sur son enseigne, un N d'Antananarivo a pris la poudre d'escampette. Mais sa 4L, qui date de 1975, "c'est du costaud". "Elle passe partout même quand il y a beaucoup d'eau, car l'allumage est en hauteur", souligne-t-il.
Les pièces originales se font toutefois de plus en plus rares, déplore Riri.
Des commerçants sont bien spécialisés dans l'import de pièces depuis l'Europe et des Indo-Pakistanais installés à Madagascar ont aussi flairé le filon, explique-t-il.
"Mais on ne sait plus si ce sont des copies ou pas. Je suggère aux Français de reprendre la production des pièces détachées!"
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