Ce rapport de deux universitaires, Bénédicte Savoy du Collège de France, et Felwine Sarr, de l'Université de Saint-Louis au Sénégal, était très attendu et a suscité des avis partagés. Il suggére notamment un changement radical de la loi française sur le patrimoine pour redonner à l'Afrique une partie de son patrimoine.
L'Elysée n'évoque pas dans son communiqué cet aspect législatif du rapport. Le président Macron fait deux annonces principales: la première est la restitution "sans tarder" au Bénin de 26 oeuvres qu'il réclamait. Il s'agit principalement des statues royales d'Abomey, actuellement propriété du musée du Quai Branly. Des prises de guerre du général français Dodds dans le palais de Béhanzin en 1892.
Ce geste, à forte valeur symbolique, fait droit à la revendication d'un pays qui a énergiquement défendu le dossier des restitutions, et qui se préoccupe de mener une véritable politique muséale et culturelle.
La deuxième annonce d'Emmanuel Macron vise à impliquer dans ce vaste enjeu les autres ex-puissances coloniales européennes, en proposant de "réunir à Paris au premier trimestre 2019 l'ensemble des partenaires africains et européens" pour définir le cadre d'une "politique d'échanges" d'oeuvres d'art.
"Circonstances comparables"
"La nécessité d'un travail approfondi avec les autres Etats européens qui conservent des collections de même nature acquises dans des circonstances comparables" est soulignée par l'Elysée.
Ce sont principalement la Belgique, le Royaume Uni et l'Allemagne. Entre 85 à 90% du patrimoine africain serait hors du continent, principalement dans les musées européens, selon les experts.
Pour l'Elysée, la restitution des oeuvres béninoises ne doit pas constituer un cas isolé ni purement symbolique. Le chef de l'Etat "souhaite que toutes les formes possibles de circulation soient considérées: restitutions, mais aussi expositions, échanges, prêts, dépôts, coopérations".
Le ministres français de la Culture Franck Riester -- présent vendredi aux côtés d'Emmanuel Macron -- et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, sont chargés de "franchir les prochaines étapes".
Le rapport suggère un échéancier précis en trois phases et dresse un premier inventaire incomplet des dizaines de milliers d'objets que les colons ont rapporté d'Afrique. Il propose aussi un changement du Code du patrimoine pour permettre des restitutions, quand des États africains en font la demande. Il insiste cependant sur plusieurs conditions comme une information précise sur la provenance des oeuvres.
En novembre 2017 à l'Université de Ouagadougou, Emmanuel Macron avait reconnu que l'Afrique avait droit à son patrimoine. Une démarche accueillie comme un acte de justice, mais aussi comme une boîte de Pandore, avec de multiples chausse-trappes potentiels.
Il faut que "la jeunesse africaine ait accès en Afrique à son propre patrimoine", a redit vendredi l'Elysée, qui a rappelé le souhait émis par le président que "d'ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives".
- Rapport "inapplicable"?-
Le périmètre des restitutions pourrait englober les biens pillés, volés, butins de guerre, mais aussi ceux, très nombreux, acquis à des prix dérisoires.
Au moins 90.000 objets d'art d'Afrique sub-sahariennes sont dans les collections publiques françaises. Plus des deux tiers des objets d'art --70.000-- se trouvent au Quai Branly, dont 46.000 "acquises" durant la période 1885-1960. Plus de vingt mille autres se trouvent dispersés dans de nombreux musées.
En Afrique, outre le coût et les infrastructures de conservation manquantes, pourraient se poser des contestations territoriales, quand des œuvres appartenaient à des royaumes disparus.
Selon l'avocat spécialisé Yves-Bernard Debie, opposé aux restitutions, "ce rapport est inopérant", car "aucun marchand d'art africain ancien n'a été consulté".
Selon Me Alexandre Giquello, de la maison de ventes Binoche et Giquello, spécialisée dans les collections d'art primitif, il est "inapplicable" et "90% des biens africains ont été achetés, offerts, échangés, troqués".
"Que les objets viennent et qu'ils repartent, ça ne nous pose pas problème mais nous voulons avoir accès à ces objets", avait estimé pour sa part la directrice du musée des civilisations de Côte d'Ivoire, Silvie Memel Kassi. "Ce n'est pas un mal en soi qu'ils soient en France. Ils y ont été conservés et répertoriés. L'important est de travailler ensemble".
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