"C'est la cerise sur le gâteau de ce processus parlementaire: à deux jours de la fin des débats, la ministre de la Justice décide de légiférer sur ce sujet sensible sans que personne n'ait été entendu", a dénoncé jeudi auprès de l'AFP Anaïs Vrain, juge pour enfants et secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM, gauche).
Jacky Coulon, secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), se dit, lui, "consterné": "On ne voit pas où va le gouvernement, qui n'a jamais présenté de ligne directrice sur la justice des mineurs mais demande un blanc-seing, qui permettra de contourner tout débat".
Mercredi, Nicole Belloubet a créé la surprise en annonçant que le gouvernement solliciterait du Parlement, "dans le cadre de la loi pour la réforme de la justice, une habilitation à réformer l'ordonnance de 1945 par la création d'un code de justice pénale des mineurs".
Tout en souhaitant légiférer par ordonnance - c'est-à-dire sans passer par un examen au Parlement -, elle a promis un "débat de fond" lors de la loi de ratification. Elle a justifié sa démarche pour "juger plus vite les mineurs" et "apporter une réponse plus prompte aux victimes".
L'ordonnance du 2 février 1945 sur "l'enfance délinquante" pose comme grands principes l'atténuation de la responsabilité en fonction de l'âge, la recherche de réponses éducatives et le recours à des juridictions spécialisées. Amendé une quarantaine de fois, ce texte fondateur est devenu au fil du temps un millefeuille difficilement lisible mais qu'aucun gouvernement n'est parvenu à réformer profondément.
Le projet de réforme actuel intègre quelques mesures pour les mineurs, très critiquées par les éducateurs, comme la création de vingt nouveaux centres éducatifs fermés (CEF) et l'expérimentation d'une nouvelle mesure d'accueil.
Plus de mineurs incarcérés
"Depuis 2016, on ne cesse d'alerter sur l'augmentation du nombre de mineurs incarcérés. On a battu un record en juin dernier avec 893 mineurs en prison, dont 70% en détention provisoire", a souligné Sonia Ollivier, secrétaire nationale du SNPES-PJJ-FSU, le premier syndicat d'éducateurs spécialisés dans la protection judiciaire de la jeunesse.
Les éducateurs attribuent en partie cette accélération à "la procédure du déferrement", où le mineur est immédiatement jugé et non convoqué à une date ultérieure devant le juge pour enfants. Une "sorte de comparution immédiate pour mineurs" que nombre de magistrats et éducateurs jugent sans aucune valeur éducative.
"Les propositions actuelles du gouvernement sont très éloignées de l'esprit de l'ordonnance de 1945: tous les rapports le disent, l'enfermement ne produit pas de réinsertion. Avec les 20 CEF supplémentaires, on aura plus de centres fermés (72) que de centres d'hébergement classiques (67)", a relevé Sonia Ollivier.
De même les mesures "probatoires" ne sont pour le SNPES-PJJ-FSU qu'un sas vers la détention. "Il ne suffit pas de placer un mineur pour qu'il sorte de la délinquance, il faut l'accompagner, cela prend du temps. La probation, c'est le risque accru de la détention à la moindre incartade", a expliqué Mme Ollivier.
A la ministre qui veut aller "plus vite" pour juger les mineurs, les syndicats de magistrats répondent qu'il y a une solution: pourvoir les postes vacants de juges pour enfant, renforcer le greffe et donner des moyens aux éducateurs. "Il n'est pas rare qu'un juge pour enfant ait 600 dossiers en cours, alors qu'une moyenne raisonnable serait de 300", selon Jacky Coulon de l'USM, qui est pourtant, sur le principe, tout à fait favorable à une réforme de la justice des mineurs.
C'était déjà le sens de l'"appel au secours" des juges pour enfants de Bobigny qui avaient début novembre expliqué qu'il s'écoulait dans le deuxième tribunal de France, "jusqu'à dix-huit mois" avant "l'affectation" d'un éducateur chargé d'exécuter une mesure d'assistance.
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