Depuis 2006, une association américaine, la RPM Nautical Foundation, a identifié une quarantaine d'épaves le long des 450 kilomètres de côtes albanaises, un patrimoine très mal connu.
Ont coulé là des navires de l'Antiquité, romains surtout, peut-être aussi phéniciens, grecs ou illyriens, remontant parfois au VIIe siècle avant notre ère, mais aussi des bâtiments de guerre contemporains.
Mais aujourd'hui, "la plupart des richesses qui reposaient à une profondeur de 20 à 30 mètres ont quasiment entièrement disparu sans laisser de trace", déplore l'archéologue et historien de l'art Neritan Ceka.
Car si les eaux albanaises sont restées inaccessibles aux plongeurs étrangers pendant la dictature communiste (1944-90), qui a fait de l'Albanie une autarcie, elles sont aujourd'hui d'autant plus ouvertes que ce pays pauvre ne dispose pas de moyens suffisants pour exercer un contrôle strict de ses côtes.
Pour le plus grand bonheur des chasseurs d'épaves, en quête de richesses antiques à la valeur parfois inestimable, mais aussi du métal des navires modernes.
"J'ai été parmi les premiers témoins de cette richesse extraordinaire en plongeant au début des années 80", souligne Neritan Ceka. "J'ai vu des amphores, des poteries, des objets archéologiques qui aujourd'hui ne sont plus là… Le pillage s'est fait d'une manière barbare."
Selon lui, "concernant les épaves qui sont près de la côte (...), des Albanais et des étrangers ont collaboré pour faire du trafic d'objets archéologiques".
Difficile de savoir à combien s'élève en Albanie le montant total de ce trafic d'oeuvres antiques.
A l'échelle mondiale, il génère un chiffre d'affaires de plus de 3,5 milliards d'euros par an, selon une estimation d'Auron Tare, un Albanais qui préside le Conseil scientifique et technique du Patrimoine culturel à l'Unesco.
Acier précieux
"Ce qui est certain, c'est que cette chasse aux trésors sous-marine peut rapporter gros", assure Moikom Zeqo, archéologue maritime.
Lui-même a pris part à la découverte d'un navire romain du deuxième siècle avant Jésus-Christ transportant des centaines d'amphores semblables à celles que l'on retrouve en décoration dans des restaurants haut de gamme en Albanie ou dans des collections privées.
Des objets de ce genre se vendent jusqu'à 100 euros pièce en Albanie. Les céramiques partiront pour beaucoup plus cher dans des enchères en Europe occidentale.
La cloche du navire austro-hongrois SS Linz, coulé avec ses 1.000 passagers après avoir touché une mine en mars 1918, a fini dans la collection privée de l'organisateur de l'expédition sous-marine, en Autriche, affirme Auron Tare.
"Ces objets doivent être rendus à l'Albanie", dit-il.
Mais les pilleurs d'épave sont aussi en quête de l'acier de très haute qualité des bâtiments de guerre, utilisé pour fabriquer du matériel médical ou d'autres équipements scientifiques. Il est vendu au prix du métal précieux établi dans les bourses internationales.
"Pour déshabiller les coques et les bouger des fonds marins, les pilleurs utilisent de la dynamite", explique Ilir Capuni, chercheur spécialisé dans le milieu sous-marin.
Il raconte avoir découvert en 2013 l'épave d'un vapeur croato-hongrois, le Pozsony, qui avait coulé au large de Durres en 1916, également en touchant une mine. De retour quatre ans plus tard, "nous avons constaté qu'il n'en restait presque rien", se lamente-t-il.
Faibles moyens
Le bateau-hôpital italien Po, torpillé par les Britanniques en 1941 au large de Vlore (sud-ouest), a connu un sort similaire. A bord était embarquée comme infirmière la fille du Duce Benito Mussolini, Edda Ciano, qui a survécu.
Aujourd'hui, tous les objets de valeur qui y étaient ont disparu: la cloche, la boussole, le télégraphe, les feux, la vaisselle... Achetées en première main à 5.000 euros, certaines pièces ont été revendues jusqu'à vingt fois plus cher à des collectionneurs, selon Ilir Capuni.
Depuis juin, une loi classe les épaves de navires comme des biens du patrimoine culturel. Les équipes de plongeurs doivent désormais être munies de permis spéciaux.
Et la police albanaise est épaulée par Interpol pour retrouver la trace des objets subtilisés, selon le patron de la police criminelle Eduart Merkaj. Sans succès notable jusqu'à présent.
Pour Luan Perzhita, directeur de l'Institut archéologique albanais, la solution pourrait passer par la création d'un musée.
Mais ce projet se heurte à la faiblesse du budget albanais.
Neritan Ceka déplore le manque de crédits publics alloués à l'archéologie: 30.000 euros par an, selon lui.
"L'Albanie n'a jamais eu le luxe (...) de comprendre l'extraordinaire importance de cette richesse pour l'histoire du pays et pour les civilisations méditerranéennes", regrette Auron Tare.
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