Dans son réquisitoire du 6 novembre dont a eu connaissance l'AFP, le parquet national financier (PNF) demande aux juges d'instruction d'ordonner le renvoi en correctionnelle de l'ex-secrétaire général de l'Elysée Claude Guéant pour "détournements de fonds publics par négligence" et "favoritisme", au bénéfice de Patrick Buisson, ancien conseiller officieux du président.
Le PNF demande que ce dernier réponde devant le tribunal de "recel" de ces délits en raison notamment des "prix exorbitants" auxquels il refacturait des sondages à l'Elysée via ses sociétés.
"Le PNF n'est pas très prolixe pour justifier la capacité du juge à s'immiscer dans les affaires de la présidence", a réagi auprès de l'AFP son avocat Me Gilles-William Goldnadel. Le conseil de M. Guéant n'a pu être joint.
Plus d'un an après la fin de l'enquête, le ministère public réclame au total un procès pour six protagonistes, dont trois autres ex-collaborateurs de l'Elysée - notamment l'ex-directrice de cabinet Emmanuelle Mignon - ainsi que le politologue Pierre Giacometti.
La tenue d'un procès dépend désormais de la décision finale du juge Serge Tournaire en charge de cette enquête qui avait démarré en 2013 après une âpre bataille procédurale.
Elle avait été déclenchée par une plainte de l'association anticorruption Anticor, après un rapport accablant de la Cour des comptes en 2009.
Par la voix de son avocat Jérôme Karsenti, Anticor s'est dit "satisfaite" de ce réquisitoire tout en regrettant "une réponse judiciaire tardive" qui en cas de jugement, "aura peu d'impact sur des personnes n'étant plus rien politiquement".
Et ce, d'autant que "le principal acteur et bénéficiaire de ces délits, Nicolas Sarkozy sera le grand absent parce qu'il a bénéficié de l'immunité présidentielle", a souligné l'avocat.
"Tradition" élyséenne
L'enquête s'est concentrée d'une part sur des commandes passées par l'Elysée auprès d'instituts de sondages comme Ipsos, "en méconnaissance" des règles des marchés publics. De l'autre, elle s'est intéressée aux contrats noués, là aussi, sans appels d'offres, avec les sociétés de M. Buisson (Publifact puis Publi-Opinion) et de M. Giacometti (Giacometti Peron devenue No Com).
Le parquet demande le renvoi de ces sociétés, de M. Giacometti et d'Ipsos pour "recel de favoritisme".
Plusieurs mis en examen avaient tenté d'invoquer une "tradition" à l'Elysée qui aurait dispensé d'appliquer les règles de la commande publique. "Dans l'Etat de droit (...) il ne revient pas aux autorités exécutives ni à ceux qui les servent (...) de décider de s'exonérer" de ces règles "au nom d'une tradition à la légitimité incertaine", souligne le PNF.
Influent inspirateur du président et issu de l'extrême droite, Patrick Buisson avait signé une convention avec l'Elysée dès 2007 lui confiant une mission de conseil rémunérée 10.000 euros HT par mois et octroyant à Publifact "l'exécution de sondages", à sa liberté d'appréciation.
L'enquête a identifié 235 sondages achetés par son cabinet et revendus à la présidence entre 2007 et 2009 avec des marges de 65% à 70%, pour un bénéfice de quelque 1,4 million d'euros.
Le parquet demande qu'il soit jugé pour "recel de détournements de fonds publics" à hauteur de cette somme et pour "abus de bien sociaux" pour près de 180.000 euros au préjudice de ses sociétés.
Côté Elysée, Mme Mignon, signataire des premiers contrats attribués à MM. Buisson et Giacometti en 2007 et 2008 est menacée d'un procès pour les mêmes délits que ceux reprochés à Claude Guéant.
Pour l'ex-bras droit de Sarkozy, cette nouvelle menace s'ajoute à une longue liste d'ennuis judiciaires, entre sa condamnation pour des primes en liquide à l'Intérieur et sa mise en examen dans l'affaire de financement de la campagne sarkozyste de 2007.
"Sa qualité de secrétaire général (...) et sa proximité avec le chef de l'Etat l'ont placé au coeur du processus décisionnel ayant abouti à la conclusion de plusieurs contrats litigeux", écrivent les magistrats dans leurs réquisitions.
En outre, le PNF réclame des poursuites pour "favoritisme" contre le conseiller Jean-Michel Goudard et contre un dernier collaborateur, Julien Vaulpré.
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