Cet artiste croit toujours que "la sculpture est éternelle, du moins si on utilise de bons matériaux" et rêve d'exposer son travail dans les rues de son pays natal. Mais ses projets sont entravés par des visions conservatrices de l'islam qui interdisent la représentation du corps.
Bien que musulman pratiquant, né et élevé au Koweït, Sami Mohammed, 75 ans, ne voit pas les choses ainsi.
"Nous sommes musulmans. Nous pratiquons notre foi" mais "nous devons surmonter ces problèmes (de représentation) car l'humain, l'individu, a la raison et la pensée", explique à l'AFP le sculpteur.
"Nous ne vivons plus dans l'ignorance. Nous vivons à l'ère de la technologie", ajoute cet homme, qui crée des oeuvres depuis plus de 50 ans.
La statue qu'il a réalisée, dédiée au premier émir du Koweït Cheikh Abdallah Al-Sabah, aurait été commandée par un magnat de la presse.
"Etat d'esprit rétrograde"
Le Musée d'art moderne du Koweït, qui a ouvert ses portes en 2003, abrite de multiples statues humaines d'artistes koweïtiens. Mais elles se tiennent derrière des portes closes, à l'abri du regard du public, alors qu'un débat se poursuit autour de l'islam et de l'art.
L'idolâtrie est interdite dans toutes les religions monothéistes, mais certaines interprétations de l'islam bannissent également toute représentation de la forme humaine.
Et bien qu'il n'existe aucune loi au Koweït stipulant que l'exposition de sculptures ou de statues est interdite dans les lieux publics, l'émirat du Golfe compte un cercle influent de religieux conservateurs qui font pression pour les garder enfermées.
Selon l'artiste koweïtien Badr Fadel Alemdar, 42 ans, c'est la "peur" des fonctionnaires qui redoutent d'en découdre avec ces conservateurs qui empêche ces sculptures de voir la lumière du jour.
En septembre, le député koweïtien Mohammed Hayef al-Mutairi a appelé le gouvernement à mettre fin à la création de statues par des artistes locaux, estimant qu'autoriser une représentation d'un être vivant et son idolâtrie pourraient, au bout du compte, "ouvrir la voie à l'établissement de lieux de culte" pour d'autres religions au Koweït.
Un autre député a, lui, qualifié cette vision "d'arriérée": Ahmed al-Fadel a haussé le ton contre ceux qui ont demandé en septembre la fermeture d'un magasin ayant vendu des figurines imprimées en 3D.
"Je veux savoir combien de temps cet état d'esprit rétrograde va durer", a clamé M. Fadel, dans une vidéo filmée à l'extérieur du magasin.
"C'est un pays de libertés régi par la loi (...) 1.400 ans plus tard, vous parlez encore d'+idoles+? Ce que vous devriez faire, c'est trouver une grotte et y rester. Je vais demander la création d'une statue de moi avec l'intention de l'exposer dans mon bureau au Parlement et d'attendre de voir qui commentera", a-t-il poursuivi.
Statue de Zidane
Bien que le Koweït abrite un important musée d'art et les Émirats arabes unis, non loin de là, le Louvre Abu Dhabi - avec des sculptures exposées en public -, la bataille entre conservateurs et artistes s'étend dans l'ensemble du Golfe et au-delà.
En octobre 2013, c'est le célèbre footballeur français Zinedine Zidane qui s'était retrouvé, bien involontairement, au coeur d'un vif débat dans la région.
Le Qatar avait alors installé une statue glorifiant le controversé coup de tête que Zidane avait assené à l'Italien Marco Materazzi en finale du Mondial-2006.
La sculpture de cinq mètres, réalisée par l'artiste franco-algérien Adel Abdessemed, avait déclenché une vague de protestations sur les réseaux sociaux, où des conservateurs avaient dénoncé cette idolâtrie interdite par l'islam.
La statue avait finalement été retirée de la corniche de la capitale Doha.
Quelques mois plus tôt, en juin 2013, les autorités locales de la province de Jizan (sud-ouest de l'Arabie saoudite) avaient démantelé des sculptures de chevaux érigées à un rond-point après l'envoi d'une lettre d'un haut responsable religieux dénonçant "un grand péché", car il s'agit là aussi de représenter un être vivant créé par Dieu.
D'innombrables guerres au Moyen-Orient ont vu des chefs-d'oeuvre du patrimoine détruits, en particulier avec la montée en puissance à partir de 2014 du groupe ultra-radical Etat islamique en Irak et en Syrie, où des dizaines de sites et d'oeuvres historiques ont été saccagés.
Mais cela n'a pas anéanti les espoirs. "Les gens s'habitueront à voir des statues à l'avenir", a affirmé Bader al-Daweesh, un fonctionnaire du Conseil national de la Culture, des arts et de la littérature du Koweït.
Et, pour reprendre les mots de Sami Mohammed, "le Koweït ne peut pas se séparer du reste du monde".
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