Il n'y a plus de saison ma bonne dame. L'expression populaire ne s'est jamais autant vérifiée à Rouen (Seine-Maritime) et dans son agglomération. Les professionnels des parcs, jardins et forêts constatent tous les premiers signes du réchauffement : les étés chauds sont plus fréquents, les périodes de sécheresses aussi, les hivers sont plus doux, et les intersaisons, que sont l'automne et le printemps, sont de moins en moins marquées. Aux Jardins des plantes de Rouen, qui possède sa propre station météo, la moyenne des températures des étés 2016, 2017 et 2018 est de 20,4°C soit 1,8°C de plus que sur les étés 1975, 1976 et 1977. "On sait que les arbustes en pâtissent", explique Emmanuel Duplaix, responsable adjoint du jardin des plantes. "Le printemps et l'automne permettent aux plantes de s'adapter mais comme ils sont moins marqués, certaines plantes sont perdues". Et de citer en exemple le forsythia, dont la floraison annonce le printemps, et qui a fleuri à l'automne 2017. A contrario, des abélias étaient encore en fleurs début novembre cette année alors que leur floraison s'arrête au plus tard en octobre habituellement.
Aux Jardins des plantes de Rouen, les abélias étaient encore en fleurs, début novembre. - Pierre Durand-Gratian
Thierry Hay, qui gère la cellule parcs et jardins du Département de Seine-Maritime, fait le même constat : "Il y a une vingtaine d'années, on avait de la neige chaque hiver et on avait jusqu'à -15°C fréquemment sur le parc de Clères, ce n'est plus le cas". Le froid avait l'avantage d'éliminer plus facilement les parasites et maladies, qui désormais résistent mieux. "80 % des frênes du domaine de Clères sont touchés par le calarose", explique-t-il. La chaleur arrange aussi la pyrale du buis qui fait des ravages aux Jardins des plantes. Et puis, les jardiniers constatent des descentes de cimes chez les hêtres. "L'arbre est stressé et se met en mode survie en sacrifiant une partie de ses ramures", explique Emmanuel Duplaix.
Le hêtre menacé
Ce phénomène a été anticipé depuis bien longtemps par l'Office national des forêts (ONF), qui gère les grandes forêts domaniales, syndicales ou départementales autour de Rouen sur 12 000 ha, avec le hêtre comme essence majoritaire. "On avait déjà constaté les effets du réchauffement en 2000", explique Jean-François Cheny, responsable du service forêt pour l'agence territoriale de Rouen, qui insiste sur le fait que le forestier travaille sur le long terme à l'échelle d'un siècle voire deux.
"Jusqu'à maintenant, on devait se battre pour la ressource avec la pression de la société de consommation. L'espace forestier français a doublé depuis Napoléon. Désormais, il faut faire face au changement climatique". Car le hêtre, arbre symbole en Seine-Maritime, qui aime le froid et l'humidité, pourrait bien disparaître de nos forêts. "Impossible de dire quand ou comment réagira l'espèce", tempère cependant Jean-François Cheny, d'autant que d'autres facteurs entrent en jeu comme le type de sol qui retient plus ou moins d'eau. "Il est en tout cas probable que l'accélération des fréquences d'événements qui stresse le hêtre va grignoter sur les hêtraies".
L'ONF continue à favoriser la régénération des hêtraies mais introduit aussi du chêne Sessile. - Pierre Durand-Gratian
Et L'ONF a déjà pris les mesures pour faire face en introduisant petit à petit de nouvelles essences. "On fait toujours de la régénération naturelle de hêtres mais on introduit aussi du chêne Sessile qui résiste mieux", explique Jean-François Cheny. Des mélanges des deux essences sont aussi plantés par endroits en fonction des sols. Et puis d'autres espèces sont testées en ce moment sur des petites parcelles pour mesurer leur réaction, comme le notofagus, une espèce de hêtre d'Amérique du Sud, des cèdres, des chênes pubescents ou encore des sequoia. Autant d'arbres que l'on retrouve notamment à l'arboretum du Petit Charme dans la forêt de Roumare. Une multitude d'espèces y ont été plantées en 1975, à l'origine pour voir celles qui résistent le mieux à la pollution, désormais pour anticiper le changement climatique. Et préfigurer donc nos forêts de demain.
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