"Ici, il n'y a que des noirs et des arabes, alors tout le monde s'en fout. Mais je paie mon loyer, 380 euros par mois, et je paie même ma taxe d'habitation. Pourtant vous avez vu l'état des bâtiments?", accuse le jeune homme, rencontré par un journaliste de l'AFP alors qu'il vient de récupérer quelques objets dans son appartement, au 77 rue d'Aubagne.
Une cinquantaine de mètres plus bas, les marins-pompiers continuent à s'activer, face à la montagne de gravats qui reste des trois immeubles qui se sont effondrés lundi et dont ils ont déjà extrait six corps.
Façades lépreuses, fissures apparentes, câbles électriques vaguement accrochés: le haut de la rue d'Aubagne n'a rien à voir avec sa partie basse, où trône la Maison Empereur, la plus célèbre et la plus ancienne quincaillerie marseillaise, inscrite à tous les circuits touristiques de la cité phocéenne.
Ici, autour des immeubles effondrés, les boutiques sentent bon l'Afrique et l'Asie. Kebabs aux Portes de Damas, spécialités tunisiennes chez T'Chik T'chouka, taxiphone-internet-alimentation chez Baraka phone, cuisine d'Afrique centrale au Kribien Nsimalem. Au 91 de la rue, c'est l'échoppe de Daniel Manna, "magnétiseur et coupeur de feu". Au 79, au Baobab, le domaine de Dia Nassyla, couturier venu du Sénégal.
Et dans les appartements, les CSP+ se font rares: "Dans le quartier autour, il n'y a que des étudiants ou des immigrés", explique Yoanna, 27 ans, étudiante, arrivée du Liban en 2006. Elle aussi est venue mercredi matin récupérer quelques vêtements et son ordinateur, au 89 rue d'Aubagne. Comme une bonne partie des habitants de la rue, elle n'a plus le droit de rester dans son appartement, tant que les travaux dureront autour des immeubles effondrés.
"Des cafards gros comme ça"
Marcel Ferreres, 71 ans, pied-noir débarqué à Marseille en 1962, a vu le quartier de Noailles évoluer, jusqu'à devenir un concentré de bâtiments délabrés ou insalubres. "Dans les années 60, la rue d'Aubagne c'était très recherché par les Marseillais. Il y avait des avocats, des médecins, c'était très brassé", se souvient-il.
Mais le bâti s'est dégradé, inexorablement. Ancien employé de banque, il s'est finalement retrouvé dans une entreprise de déménagement: "Je faisais les devis, au début des années 2000. Les appartements, dans le quartier, c'était des taudis. Des cafards gros comme ça", explique-t-il, en dénonçant "la mafia qui profite de la misère" et ces "propriétaires ou faux propriétaires qui encaissent les loyers sans jamais faire de travaux".
"Tout le monde savait que le 65, il était complètement pourri", lâche d'une voix douce Fatima Oussoufa, une femme de 30 ans, elle aussi Comorienne, habitante du 73 de la rue d'Aubagne. "Mais c'est le destin", conclut-elle, désabusée, en évoquant "Mama Sadgi", la mère de famille comorienne du 1er étage, au 65, qui n'a plus donné signe de vie depuis lundi, après avoir amené son fils à l'école.
Enrico vit lui au 81 rue d'Aubagne. Au dessus du Cemka Studio, un petit studio d'enregistrement et de mixage. Lui aussi est là, mercredi, pour tenter de chercher quelques affaires dans son appartement.
Si cet Italien de 43 ans s'était habitué à l'état des parties communes de son immeuble, "complètement défoncées", il est vraiment anxieux depuis un mois. Les pluies récentes sur la cité phocéenne, en octobre, ont provoqué des infiltrations jusque dans son appartement, au 3e. Et les travaux du nouveau propriétaire du rez-de-chaussée ont fait tomber des bouts de plafond dans la cage d'escalier, sans compter les fissures sur ses murs.
Et il ne peut s'empêcher de penser à ses voisins du 65, cet immeuble qui s'est effondré en quelques secondes lundi, "presque sans bruit, comme un château de sable".
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