Il y a 48 ans, en 1970, Guyotat manque d'une voix le prix Médicis pour son livre brûlot "Éden, Éden, Éden". Claude Simon, futur prix Nobel de littérature, démissionne du jury. A l'initiative du ministre de l'Intérieur d'alors, le livre est frappé d'une triple interdiction (affichage, publicité et vente aux mineurs) un mois après sa parution... Le scandale est immense.
"Me couronner à l'époque aurait été un acte politique intéressant", rappelle de sa voix douce l'écrivain aujourd'hui âgé de 78 ans et toujours aussi révolté et sidérant.
"Nous ne sommes pas là pour réparer les dégâts du passé", insiste Frédéric Mitterrand membre actuel du jury du Médicis. "Nous sommes en train de consacrer un grand écrivain pour son œuvre actuelle", insiste-t-il.
"Nous n'avons pas été motivés par les aventures malheureuses du passé mais nous avons été motivés par la qualité absolument remarquable d'un livre contemporain, écrit par l'un des plus grands écrivains de notre littérature", a ajouté l'ancien ministre de la Culture.
Récit autobiographique, "Idiotie" est l'un des livres les plus accessibles de l'auteur de "Tombeau pour cinq cent mille soldats". Lundi le jury du Femina avait déjà donné à Pierre Guyotat un prix spécial pour l'ensemble de son œuvre. L'écrivain doit recevoir la semaine prochaine, à l'occasion de la Foire du livre de Brive, le prestigieux prix de la langue française.
Un souffle qui ne faiblit pas
"Cette +Idiotie+ traite de mon entrée, jadis, dans l'âge adulte, entre ma dix-neuvième et ma vingt-deuxième année, de 1959 à 1962. Ma recherche du corps féminin, mon rapport conflictuel à ce qu'on nomme le +réel+, ma tension de tous les instants vers l'Art (...) ma pulsion de rébellion permanente : contre le père pourtant tellement aimé, contre l'autorité militaire, en tant que conscrit puis soldat dans la guerre d'Algérie, arrêté, inculpé, interrogé, incarcéré puis muté en section disciplinaire", résume Pierre Guyotat.
Le livre est porté par un souffle qui ne faiblit jamais.
Le récit commence à l'automne 1958. Le jeune Guyotat, âgé d'à peine 18 ans et donc encore mineur, a quitté Lyon pour Paris persuadé que c'est dans la capitale qu'il pourra accomplir son destin de poète. Son père, médecin, a lancé un détective privé à ses trousses.
Le vie est rude. Il dort sous le pont de l'Alma. Avec sa langue à la fois crue et ciselée, Guyotat nous régale de tableaux animés d'un Paris populaire qui n'est plus. Coursier, il épie un couple par un volet laissé entrouvert.
Toutes les obsessions de Guyotat sont là: "j'entends les bouches se baiser, les salives clapoter, les dents tinter, les mains prendre, serrer, caresser fouiller, fouailler, les poils se frotter..."
En 1961, alors que son premier texte ("Sur un cheval") vient d'être accepté par le Seuil, il est appelé sous les drapeaux pour servir en Algérie.
Son esprit réfractaire ne fait pas bon ménage avec la discipline militaire. Tabassages, vexations des gradés, séjours au cachot... Pages hallucinantes et terribles.
Ramené à la vie civile, Guyotat reste hanté par "tous les égorgés, tous les mutilés du nez, des lèvres, des oreilles, tous les énucléés, tous les démembrés, tous les désentraillés, tous les traqués abattus, tous les battus à mort, tous les déchiquetés, tous les enflammés, bébés jetés contre les murs, mères enceintes éventrées, toutes les violées, tous les torturés (...) victimes à retardement du crime originel de la conquête".
Il retourne à Paris, "vers la faim" mais "décidé à en découdre".
Dans la catégorie romans étrangers, c'est la Britannique Rachel Kushner qui a reçu le Médicis pour "Le Mars Club" (traduit de l'anglais par Sylvie Schneiter, Stock), tandis que Stefano Massini a remporté le Prix essai pour "Les Frères Lehman" (traduit de l'italien par Nathalie Bauer, Globe),qui raconte, en vers libres, l'ascension et la chute de Lehman Brothers.
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