Pour la première fois depuis les attentats du 7 janvier 2015, l'écrivain, grièvement blessé au visage et portant désormais une barbe poivre et sel pour cacher ses blessures, a accepté d'affronter caméras et photographes en venant chercher son prix au très sélect Cercle de l'Union interallié, à deux pas du Palais de l'Élysée.
Ému, il a dédié son prix à son père, mort le jour où sont parues les épreuves de son livre. "Il n'a pas pu le lire et c'est à lui que je pense", a dit Philippe Lançon. "On écrit avant tout pour les vivants mais en pensant aux autres", a ajouté l'écrivain qui a perdu beaucoup de ses amis dans les attentats.
Considéré par de nombreux critiques littéraires comme le meilleur livre de l'année, "Le lambeau" (Gallimard), snobé de façon incompréhensible par le jury du Goncourt est encore en lice pour le Renaudot (décerné mercredi) et l'Interallié (proclamé le 14 novembre).
"Ce livre est vraiment un chef-d'œuvre qui répond à un événement unique. D'une certaine façon, il était hors catégorie", s'est justifiée, Chantal Thomas qui préside cette année le jury du Femina. "Le livre est à la fois un formidable exercice de survie et un livre de sagesse intime qui vaut pour chacun".
Philippe Lançon s'est imposé à l'unanimité du jury exclusivement féminin moins une voix pour David Diop ("Frère d'âme", Seuil).
L'Américaine Alice McDermott a décroché le Femina étranger pour "La neuvième heure" (La Table ronde), traduit de l'anglais pas Cécile Arnaud, et Élisabeth de Fontenay a été récompensée par le Femina essai pour "Gaspard la nuit" (Stock). Pierre Guyotat, en compétition avec son roman "Idiotie" (Grasset) a reçu un "prix spécial du jury pour l'ensemble de son œuvre".
Depuis sa sortie, en avril, "Le lambeau" s'est vendu à 169.000 exemplaires selon son éditeur.
Une plume portée par la grâce
"A partir du 7 janvier, tous les mondes dans lesquels j'avais vécu, toutes les personnes que j'avais aimées se mirent à cohabiter en moi sans préséance ni bienséance, avec une intensité folle, proportionnelle à la sensation qui dominait : j'allais les perdre, je les avais déjà perdus", écrit Philippe Lançon.
Le récit commence la veille de l'attentat. Chroniqueur culturel à Libé, Philippe Lançon est au théâtre, pour voir "La nuit des rois" de Shakespeare. On se souvient dans cette pièce du personnage de Malvolio le puritain qui, rappelle Philippe Lançon, "veut punir les hommes de leurs plaisirs et de leurs sentiments au nom du bien qu'il croit porter, au nom d'un dieu, se croit autorisé à faire tout le mal possible pour y parvenir".
Mais cette pièce nous dit Shakespeare est juste un songe. Le 7 janvier fut un cauchemar.
Philippe Lançon raconte l'attentat dans une soixantaine de pages parfois insoutenables. "J'ai tourné ma langue dans ma bouche et j'ai senti des morceaux de dents qui flottaient un peu partout", se souvient-il.
"J'ai su plus tard que la salle de rédaction était une mare de sang mais (...) si je baignais dedans, je ne le voyais presque pas".
Mais le plus difficile est encore à venir. Philippe Lançon nous fait le récit de son lent et douloureux travail de reconstruction.
Sa plume est portée par la grâce quand il évoque les infirmières qui veillent sur lui, les médecins, notamment "Chloé", qui se relaient à son chevet, les policiers qui le protègent, son frère qui ne le quitte pas.
Le livre s'achève le 13 novembre, jour de l'attaque de plusieurs restaurants et de la salle de concerts du Bataclan à Paris.
"C'était de nouveau, comme au réveil après l'attentat, un décollement de conscience, et j'ai senti que tout recommençait, ou plus exactement continuait, en moi et autour de moi..."
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