Voûté devant son brasier, ce quinquagénaire qui paraît beaucoup plus âgé maugrée contre les importations chinoises bon marché responsables selon lui de la baisse de la demande.
"Les gens n'apprécient pas l'art", peste-t-il, expliquant qu'il ne vient désormais plus que quelques jours par semaine travailler dans son atelier de briques et de tôle ondulée où règne une chaleur étouffante.
L'industrie autrefois florissante des verreries d'Herat, dans cette ville éponyme de l'ouest du pays, a été brisée par des décennies de guerre, de pauvreté et d'importations bon marché. Et le métier de souffleur de verre, transmis de génération en génération, tend à disparaître.
Bouteilles et vitres cassées
Ghulam Sakhi, lui, n'a jamais renoncé. Il a commencé à travailler avec son père quand il avait sept ans, raconte-t-il, assis sur un tabouret bas près d'un four à bois en terre cuite tout en essuyant la sueur qui perle sur son visage.
Son fils aîné Habibullah travaille à ses côtés, mélangeant dans un pot bouillonnant de verre fondu de la poudre de cuivre ou de fer pour créer la fameuse teinte bleue ou verte.
Ghulam Sakhi plante alors une sarbacane de fer dans le mélange enflammé, la faisant tourner doucement comme dans un pot de miel. Il ressort sa tige puis souffle dedans, roule le verre fondu, l'écrase parfois avant de déposer sa création à cuire dans un four.
Les outils et techniques qu'il utilise n'ont guère changé depuis des générations, même si au lieu de fabriquer du verre en quartz naturel, Ghulam Sakhi recycle désormais les bouteilles et les vitres cassées, "plus faciles à trouver".
Ce métier "ne durera pas une génération de plus", se lamente-t-il, alors que sa famille fabrique du verre herati depuis "200 ou 300 ans".
"C'en est fini"
Des décennies de guerre ont chassé les touristes étrangers qui étaient attirés par Herat, ville chargée d'histoire, ancienne capitale de l'empire timouride au XVe siècle et plaque tournante du commerce sur la Route de la soie.
La plupart des Afghans préfèrent désormais les importations chinoises bon marché aux verres faits main mais qui sont fragiles, dit M. Sakhi.
"Ils pensent que lorsqu'ils achètent des produits importés de Chine, ils seront de meilleure qualité...", dit-il sur un ton ironique.
Les seuls indices de modernité dans l'atelier enfumé sont un téléphone portable posé à ses côtés et un ventilateur électrique qui ronronne furieusement dans la chaleur ambiante.
Le sultan Ahmad Hamidi, propriétaire de l'atelier, passe lui ses journées à arranger sa longue barbe blanche, assis sur un canapé installé dans son magasin de verres d'Herat, de bibelots et autres objets artisanaux locaux.
Il se désespère pour l'avenir de son entreprise. "Il y a trente ou quarante ans, les gens faisaient la queue pour acheter du verre ici, jusqu'à 100 touristes par jour", clame-t-il.
Son magasin, face à la mosquée principale, déborde de gobelets, vases et bols en verre hérati qui prennent la poussière.
Il lui faut un mois pour vendre 100 pièces, se plaint-il.
Au fur et à mesure que l'artisanat décline, la survie devient un défi croissant pour Ghulam Sakhi et sa famille. Habibullah complète les maigres revenus de son père en faisant le taxi sur une moto à trois roues.
Mais sans le soutien du gouvernement ou un rebond du tourisme, M. Sakhi craint d'être le dernier souffleur de verre d'Herat.
"Je suis très triste", lâche-t-il. "Si rien ne change, c'en est fini".
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