"C'est impossible qu'il n'y ait eu qu'une seule personne. C'était un acte terroriste : ils disent que c'est un crime de masse mais je n'y crois pas". Deux roses rouges à la main, Sergueï Vaguine en est persuadé : Vladislav Rosliakov, 18 ans, a forcément bénéficié de complicités pour abattre méthodiquement, en quelques minutes, les étudiants et professeurs du lycée qu'il disait détester.
Derrière cet employé du BTP de 23 ans résonne en boucle une marche funèbre dédiée aux victimes de la pire tuerie scolaire de l'histoire de la Russie. Pendant deux heures, vendredi, plusieurs milliers d'habitants de Kertch ont ignoré le brouillard et les premiers froids pour se recueillir devant 17 corps, les premiers enterrés depuis la tuerie.
La théorie du complot est généralisée. "Je pense qu'on nous cache quelque chose : c'est dur de croire que ce garçon a pu tout organiser seul", assène Oleg Jmaka, directeur d'une école de sport, s'interrogeant sur l'argent qu'a dû dépenser Rosliakov pour préparer son massacre.
Selon les médias russes, cela s'élèverait à 39.000 roubles (519 euros), dont près de 15.000 pour acheter sa licence de port d'armes. Une somme conséquente pour un adolescent qui vivait seul avec sa mère infirmière, dans une région où le salaire moyen était en 2017 de 26.300 roubles, selon le service fédéral de statistiques Rosstat.
Si Vladimir Poutine a blâmé la "mondialisation", visant implicitement les Etats-Unis, le dirigeant de la Crimée Sergueï Aksionov a lui semblé accréditer la thèse populaire en affirmant au lendemain du massacre que Vladislav Rosliakov pourrait "ne pas avoir agi seul".
Guerre toute proche
La méfiance à l'égard de la thèse officielle rappelle que la Crimée, annexée en mars 2014 à l'issue d'un référendum jugé illégal par la communauté internationale, n'est pas une région russe comme les autres.
Si elle a échappé à la guerre ayant frappé l'est de l'Ukraine, l'annexion a laissé des traces. D'autant que Kertch et ses 150.000 habitants, à l'extrémité orientale de la péninsule, occupe une position stratégique : c'est là qu'arrive le pont construit à grand frais par Vladimir Poutine pour relier la Russie à la Crimée, inauguré en mai.
De quoi désenclaver la ville et la faire sortir de la torpeur dans laquelle elle semble enfermée, une fois quitté le centre-ville aux airs faussement méditerranéens. "Il va falloir augmenter la sécurité maintenant qu'il y a le pont. C'était tellement tranquille, mais ça commence à changer", souligne Pavel Essine, un employé des services météorologiques locaux.
Depuis la côte, l'ouvrage de 18 kilomètres de long semble s'enfoncer dans la mer. Impossible de le manquer, à commencer par ses arches conçues pour laisser passer les cargos venant embarquer les marchandises des ports ukrainiens ou russes de la mer d'Azov.
Sorte de mer intérieure partagée entre la Russie et l'Ukraine, cette dernière est depuis quelques mois au centre d'une nouvelle querelle entre les deux pays. Kiev accuse les gardes-côtes russes d'excès de zèle dans leurs contrôles des bateaux se rendant dans les ports ukrainiens, provoquant des face-à-face tendus entre les deux Marines.
Ces tensions sont régulièrement exacerbées. Tout de suite après la tuerie, plusieurs responsables russes ont ainsi dit vouloir étudier une piste ukrainienne. Les Tatars, une communauté musulmane majoritairement opposée à l'annexion de la Crimée et qui subit des pressions des autorités, ont aussi été montrés du doigt par certains médias.
Tous les habitants de Kertch s'accordent pourtant à trouver leur ville particulièrement calme. "C'est une tragédie que je n'aurais pas pu imaginer, même avec ce changement d'ambiance", souligne Fiodor Mostepanov, un ouvrier à la retraite qui a vécu toute sa vie à Kertch et parle d'une "tragédie personnelle". Ce "changement d'ambiance", c'est "le terrorisme partout", ajoute-t-il.
"C'est le problème du terrorisme international, pas de la Russie ou de la Crimée", surenchérit Oleg Jmaka : "Il y a les forces spéciales devant chaque école. Mais ça sert seulement à désigner l'abcès : les problèmes de sécurité".
Près de la place Lénine, où les habitants en deuil attendent pour se recueillir, Natalia Odegova se veut rationnelle : "C'est très calme ici. Cela a toujours été comme ça. Ce qui est arrivé, ce n'est pas parce que c'est la Crimée, c'est parce qu'un truc est passé par la tête d'un jeune".
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