Il crée alors des oeuvres profondément humanistes et pacifistes qui reflètent sa propre expérience d'une guerre dans laquelle il a failli perdre la raison.
Dès son enfance, le petit paysan d'Olmet (Hérault) pratique la sculpture en taille directe dans cette région de relief karstique voisine du cirque de Navacelles.
A la bibliothèque municipale de Lodève, l'adolescent, qui a quitté l'école à 13 ans, dévore les livres des grands auteurs.
Autorisé à suivre des cours à l'école régionale des Beaux-Arts pendant son service militaire à Montpellier de 1909 à 1912, il voyage en Italie grâce à une bourse saluant son talent.
Admis à l'école nationale des Beaux-Arts à Paris, il n'y reste que quelques semaines et quitte également l'atelier de Rodin au bout de quelques jours. “C'était quelqu'un de foncièrement indépendant, qui avait du mal avec l'autorité et le conformisme”, explique Cécile Chapelot, chargée des collections Beaux-Arts au musée de Lodève, qui abrite notamment le fond Dardé.
En 1914, “au moment même où il reçoit sa première commande publique”, le sculpteur autodidacte de 26 ans est mobilisé, souligne-t-elle. Tout d'abord affecté au service auxiliaire (cantine, habillement...), il est frappé par une “sanction absolument abominable qui consiste à l'envoyer sur le front comme brancardier”. Pendant huit mois, Dardé ramasse des corps en charpie sous les obus et la mitraille, une expérience qui l'anéantit et dont il rapportera des dessins épouvantés.
"La réalité de la guerre"
Après un bombardement particulièrement traumatisant, il fuit la guerre en sautant d'un train qui rapatrie les troupes vers un camp de repli et marche pendant 15 jours de Doullens (Somme) à Riom (Puy-de-Dôme), où il est arrêté.
Hagard, il est interné en psychiatrie à Montpellier, ce qui lui évite probablement d'être fusillé pour désertion.
L'art le sauve de la folie et en 1920, Dardé connait la consécration avec son grand Faune à la face étrange et grimaçante qui lui vaut le Grand prix national des Arts et une renommée qui atteint les Etats-Unis et le Japon.
Mais à 32 ans, “alors que son chemin vers la gloire semble tout tracé, Dardé choisit de revenir dans sa région natale pour faire des monuments aux morts et exprimer sa forte volonté de décentralisation artistique”, souligne la conservatrice. Véritable force de la nature, peu enclin à s'épancher, il vivra dès lors dans un grand dénuement jusqu'à sa mort en 1963.
Dardé crée sept monuments aux morts dans l'Hérault (Lodève, Soubès, Saint-Maurice-Navacelles, le Bousquet d'Orb, Clermont-l'Hérault, Lunel, Béziers) et un dans l'Aude (Limoux). “Il avait vécu la guerre dans sa chair (...), la réalisation artistique est clairement humaniste donc pacifiste”, souligne Cécile Chapelot. “Ce ne sont pas des monuments froids, qui portent aux nues la patrie: ils parlent de la douleur, de la réalité de la guerre - les morts, le deuil...”.
A Lodève, le sculpteur montre l'image de la guerre sous les traits d'une victime dans toute son humanité et non d'un fier combattant brandissant son fusil ou un drapeau. Couché sur le dos, le cadavre du soldat est entouré à sa tête de quatre femmes représentant les quatre saisons et la permanence du souvenir, à sa droite d'une femme ployée sous la douleur et à ses pieds de deux enfants, l'un de condition modeste, l'autre plus richement vêtu.
Le monument de Clermont-l'Hérault, dont la commande officielle était une victoire ailée penchée sur un soldat, reste le plus énigmatique ou le plus provocateur: un soldat gisant est veillé par une femme nue, parée de plumes et de bijoux telle une danseuse de cabaret. Dardé aurait pu ainsi vouloir dénoncer la “vie parisienne” qui continuait pendant que des enfants du peuple comme lui tombaient au combat.
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