Sous un soleil brûlant, et malgré l'immense file d'attente, Ahmed Aziz, 39 ans, fait de nouveau la queue devant les bâtiments de l'état civil pour que sa fille apparaisse enfin officiellement dans les registres de l'Etat irakien.
Sous l'EI, qui a méthodiquement fait exploser les administrations publiques et leurs archives, il n'y avait pas d'autre loi que celle des jihadistes.
A l'époque, "l'état civil officiel était fermé", indique l'homme, qui n'a en sa possession qu'un certificat de naissance délivré il y a trois ans par un des hôpitaux de Mossoul, sur lesquels les jihadistes avaient fait main basse jusqu'à la libération de la ville en juillet 2017.
Quand les services de l'état civil ont rouvert il y a quelques mois dans ce chef-lieu de la province de Ninive, "j'ai vu que les gens se ruaient massivement vers les administrations publiques et j'ai préféré attendre avant d'y aller aussi", raconte ce chauffeur de taxi à l'AFP.
Résultat, à plus de trois ans, Chahed n'existe toujours pas aux yeux de l'administration irakienne.
Mariage en noir
De 2014 à 2017, des milliers d'Irakiens, qui vivaient dans le tiers du pays tombé aux mains des jihadistes, ont virtuellement disparu des registres de l'Etat.
Certains ont perdu leurs documents d'identité dans les combats ou dans leur fuite pour échapper aux violences ou aux jihadistes.
D'autres ont obtenu des certificats car l'EI, qui se rêvait en Etat, avait créé ses ministères, ses administrations, ses tribunaux et son état civil, où il inscrivait les naissances, les unions, les décès ou les accords commerciaux. Mais personne n'a jamais reconnu ces documents.
Zein Mohammed, un fonctionnaire de 29 ans, s'est marié en 2014 et a alors dû se rendre à un tribunal de l'EI.
Ce qui aurait dû être le plus beau jour de sa vie, il s'en rappelle comme d'une épreuve. "Je suis allé avec ma fiancée devant le juge. Elle était couverte de noir de la tête aux pieds", raconte-t-il à l'AFP.
Sous la férule des jihadistes, les Mossouliotes ont dû se plier à leurs exigences ultra-rigoristes. Les femmes devaient être entièrement drapées dans des voiles noirs et les affaires familiales étaient entre les mains des mêmes tribunaux qui ordonnaient la mort et les châtiments corporels pour tout comportement considéré comme un "péché".
"Le juge nous a délivré un certificat de mariage portant le sceau de l'EI", explique Zein Mohammed. Après la libération, "quand les tribunaux ont rouvert, nous avons dû signer un nouveau contrat de mariage".
Aujourd'hui, il ne lui reste plus qu'à "faire modifier tous les documents d'état civil pour y changer le statut marital", dit-il, lui aussi pris au milieu d'une foule d'Irakiens désireux de régulariser leur situation.
Un passeport pour s'échapper
Pour les recevoir, tous les jours de huit à 15 heures sauf le vendredi, jour de repos hebdomadaire, des fonctionnaires s'activent à compiler des dossiers, vérifier les identités et signer des récépissés pour des documents officiels et autres certificats.
Un travail titanesque, souvent ralenti par les conditions de travail drastiques imposées par les services de sécurité dans l'ancienne "capitale" irakienne de l'EI.
Pour éviter les falsifications d'identité et repérer les jihadistes qui tenteraient de passer à travers les mailles du filet, "les services de renseignement vérifient chaque document et cela ralentit souvent leur délivrance", dit à l'AFP le général Hussein Mohammed Ali, qui dirige les services d'état civil de Mossoul.
Malgré cela, "plus d'un million de documents certifiés et plus de 2.000 passeports ont déjà été délivrés", se félicite-t-il.
Moustafa Thamer, un étudiant de 23 ans, est justement venu demander un passeport, même si tous ses autres papiers sont valides et qu'il n'a pas pour projet de voyager prochainement.
"On se dit qu'il faut avoir un passeport pour pouvoir partir d'ici quand on veut. On a vécu l'occupation de l'EI et on n'a plus confiance dans l'avenir de cette ville, que ce soit la sécurité ou le mode de vie qui y est imposé", explique-t-il à l'AFP.
Selon lui, "tout peut arriver à Mossoul".
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