Chapeaux vissés sur le crâne, des paysannes cueillent avec leurs doigts la douce matière blanche qui se retrouvera dans des tissus de luxe.
Mais Fatouh Khalifa déplore aujourd'hui ses maigres "bénéfices". "Je cultive 42 hectares qui coûtent cher (...) alors que le prix (du coton) est très faible", se désole cet agriculteur, sous un soleil brûlant.
Réputé dans le monde entier grâce à ses très longues fibres, le coton égyptien, en particulier du Delta du Nil, a été, au XIXe siècle, la principale source de richesse du pays.
Mais des décennies d'une concurrence internationale acharnée, face notamment au coton à fibres courtes - bon marché et très prisé des mastodontes du textile -, ont laminé la filière égyptienne.
Les Etats-Unis, l'Inde, le Brésil et l'Australie figurent aujourd'hui parmi les premiers exportateurs mondiaux de coton, selon un récent rapport du département américain de l'Agriculture, l'Egypte n'arrivant que loin derrière.
En 1975, les exportations de coton avaient rapporté à l'Egypte 540 millions de dollars. Quatre décennies plus tard, elles n'en ont généré que 90,4 millions en 2016, selon l'Observatoire de la complexité économique du Massachusetts Institute of Technology (MIT).
Défis majeurs
En 2011, le soulèvement populaire ayant provoqué la chute du président Hosni Moubarak a asséné le coup de grâce au coton. La production de coton (fibres) a chuté à 94.000 tonnes en 2013, selon l'Organisation de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), contre 510.000 tonnes en 1971.
Le chaos politico-économique a aussi affecté la qualité, grand atout du coton égyptien, coûteux à produire et cher à l'achat.
L'année 2017 a suscité l'espoir d'un renouveau chez les producteurs, avec une hausse du prix du quintal (100 kg) et une reprise des exportations.
Mais les prix ont connu un net repli au cours des dernières semaines dans le contexte de bataille commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, principal acheteur du coton américain.
En Egypte, le prix du quintal est passé de 3.000 livres (145 euros) en 2017 à 2.700 livres (130 euros) cette année, soit le minimum fixé par l'Etat.
L'Union égyptienne pour le coton assure que les entreprises achetant du coton exigent même des prix inférieurs, sans réaction du gouvernement. M. Khalifa les accuse de "faire la loi sur les prix".
Productivité en hausse
Le commerce du coton, jadis sous égide de l'Etat, a été libéralisé en 1994, mais les autorités contrôlent toujours l'activité du secteur et se portent en principe garantes d'un prix de vente minimum.
"La baisse des prix n'est pas en soi une mauvaise chose", réplique Ahmed El-Bosaty, PDG de Modern Nile Cotton, l'une des plus importantes entreprises du secteur. Pour lui, le défi majeur reste la productivité. La hausse de cette dernière "et non celle des prix assurera de meilleurs revenus aux travailleurs", estime-t-il.
Pour Hicham Mosaad, directeur de l'Institut de recherches sur le coton au ministère de l'Agriculture, cette "productivité est en hausse". Mais, selon lui, les entreprises doivent investir davantage dans la mécanisation de la culture du coton, encore totalement manuelle.
Autre défi: l'industrie égyptienne fabrique peu de produits finis. "Nous produisons du coton pour l'exporter directement, l'Egypte ne disposant pas d'usines ni des moyens permettant de le transformer en tissu", regrette Mohamed Cheta, directeur de recherches à l'Institut du coton de Kafr el-Cheikh.
Réformes de l'Etat
L'Etat tente d'agir. Son intervention a permis en quatre ans d'augmenter les surfaces cultivées, qui sont passées d'environ 50.000 hectares à plus de 140.000 actuellement.
En septembre, le gouvernement égyptien a même autorisé, à titre expérimental, la culture du coton de basse qualité (fibres courtes) - sauf dans le Delta du Nil -"pour satisfaire les besoins des usines".
Experts et agriculteurs restent sceptiques, estimant que l'Egypte peinera face aux poids lourds étrangers.
Mais, pour nombre d'entreprises, il y a urgence.
Si selon les chiffres officiels, les exportations de coton égyptien ont augmenté de 6,9% sur mars-mai 2018 par rapport à la même période l'année précédente, dans le même temps, le secteur a connu une baisse de la consommation de coton égyptien de 57,9% en raison de la tendance à utiliser du coton importé.
Promouvant la qualité égyptienne, la styliste Marie Louis Bishara a dédié l'une de ses lignes au coton local, dans l'usine qu'elle dirige au nord du Caire.
"Nous essayons de montrer au monde que si on veut fabriquer des produits de luxe, il faut utiliser le coton +extra long+ du Delta", explique-t-elle.
Les chemises, pantalons et vestes "made in Egypt" qu'elle conçoit terminent, se félicite-t-elle, dans les rayons de boutiques de prêt-à-porter de son pays mais aussi en France et en Italie.
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