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Que reste-t-il de la guerre 14-18 dans les familles ? Des descendants racontent

Un grand-père général, l'épouse d'un homme brisé par la Première guerre mondiale, un jeune "fusillé" pour l'exemple... L'AFP texte, photo, vidéo a rencontré des descendants de combattants ou de témoins à l'occasion du centenaire de la fin de la Grande guerre. Voici leurs récits.

Que reste-t-il de la guerre 14-18 dans les familles ? Des descendants racontent
Emile Pierre Aymard, 93 ans, tenant le portrait de son oncle Gabriel Aymard à Pont-du-Château (Puy-de-Dôme) le 2 octobre 2018. - Thierry Zoccolan [AFP/Archives]

"Poilu" revenu parmi les siens un siècle après

PONT-DU-CHATEAU (Puy-de-Dôme) - "Quand j'étais tout gamin, on se recueillait tous les ans à Toussaint sur le caveau familial devant une plaque portant son nom et une vieille photo. Mais sa tombe était vide. Aujourd'hui, c'est une satisfaction et une fierté de le savoir de retour", témoigne Émilie-Pierre Aymard, 93 ans.

Son oncle Gabriel, soldat du 1er régiment du génie, est tombé à 28 ans sous les balles allemandes le 4 septembre 1916 lors de la bataille de la Somme, l'un des épisodes les plus sanglants de la Grande Guerre. Comme beaucoup d'autres, son corps avait disparu.

Jusqu'au coup de pelle, providentiel, d'un grutier lors de travaux d'installation de canalisations de gaz sur la petite commune de Chilly (Somme), à une quarantaine de kilomètres d'Amiens: il mit au jour la dépouille à l'été 2016, cent ans plus tard.

"Il a été retrouvé accroupi, recroquevillé avec des trous de balles dans le thorax, avec à ses côtés son couteau totalement rouillé, une petite fiole en verre et son matricule. C'est grâce à cela que l'on a pu l'identifier", relate le neveu. Les clous plantés dans le reste d'une chaussure en cuir avaient d'abord permis de reconnaître les brodequins d'un soldat français.

"J'ai beaucoup de fierté, c'est un honneur car c'est quelqu'un qui a combattu pour la France. C'est un héros national", estime le vieil homme, dont le père - demi-frère du défunt - était rentré vivant, lui, de l'enfer des tranchées. "Enfant, j'étais déjà fier de faire remarquer à mes petits camarades que son nom était inscrit tout en haut du monument aux morts" de Pont-du-Château, ordre alphabétique oblige, raconte-t-il, malicieux.

Fils de paysans, Gabriel Aymard avait rejoint Paris où il était devenu sapeur-pompier au début du siècle dernier. Il avait contribué à secourir les habitants lors de la crue de la Seine en 1910, avant de revenir dans sa commune natale puis d'être appelé sous les drapeaux.

Son inhumation en mars 2017 avait donné lieu à une cérémonie nationale, en présence du Premier ministre d'alors Bernard Cazeneuve, qui lui avait rendu un vibrant hommage à Pont-du-Château.

Le GPG, grand-père général

POITIERS - "Grand-père avait toujours quelque chose à raconter de sa +grande guerre+", se souviennent les petits enfants de l'un des derniers témoins de l'enfer des tranchées, le général Maurice Bourgeois, mort en 2003 à 106 ans à l'hôpital militaire Bégin de Saint-Mandé (Val-de-Marne).

Né à Bernay (Eure) le 27 novembre 1896 et engagé dans la troupe à 17 ans, au tout début des hostilités, Maurice Bourgeois fait son baptême du feu dans la forêt d'Argonne en 1915.

De Verdun au Chemin des Dames jusqu'au camp de prisonniers d'Eutin dans le Holstein en Allemagne et le désarmement de l'ennemi à Berlin, il fut sur tous les fronts de 1914-1918.

Maurice Bourgeois, resté dans la mémoire familiale comme "le GPG (grand-père général)", était "un véritable ordinateur, capable de restituer le moindre détail" ses souvenirs de guerre, explique Guillaume Bourgeois, son petit-fils historien.

C'est lui qui a conservé l'intégrale des témoignages de son aïeul, enregistrés par Hugues Bourgeois, autre petits-fils du général.

"Le GPG régimentait la famille comme sa section. Ce fut un militaire jusqu'au bout, et un grand père relativement craint", raconte Guillaume Bourgeois. Chez lui, "il fallait faire les lits au carré".

Dans son appartement parisien, le général conservait souvenirs des tranchées, douilles, éclats d'obus, et surtout deux précieuses médailles religieuses roulées dans un mouchoir que sa mère lui avait confiées et qui ne l'ont jamais quitté.

Le conflit a laissé chez ce vaillant "poilu", "un sentiment européen profond", soulignent ses petits-enfants.

Président des vétérans de Verdun, "Maurice Bourgeois soutenait tout ce qui pouvait favoriser la réconciliation franco-allemande. C'était un homme de droite qui n'aimait pas beaucoup (François) Mitterrand, mais l'image du président français main dans la main avec le chancelier allemand Helmut Kohl" pour sceller le rapprochement des deux anciens ennemis, "ça, ça lui a bien plu", se souvient encore Guillaume Bourgeois.

Malgré ses deux blessures de guerre, Maurice Bourgeois qui fut aussi gazé "n'a jamais prêché le pacifisme", mais "il n'était pas non plus un enragé de la guerre, au contraire", soulignent ses petit-fils.

"Ce n'était pas un pacifiste bêlant, mais plutôt un pacifiste conscient", résument-ils, en citant la formule du général bien ancrée dans la mémoire familiale: "la paix, ça se mérite et elle est infiniment préférable à la guerre".

"Fusillé pour l'exemple" à 19 ans

BARJAC (Gard) - La mort de Philippe Dalen, enfant de Barjac (Gard), fusillé à 19 ans le 27 mai 1916 dans la Somme pour "abandon de poste en présence de l'ennemi" était un secret enfoui au cœur d'une famille frappée à l'époque par la honte.

"On a appris cette histoire il y a dix ans par l'archiviste de Barjac Laurent Delauzun, on est tombés des nues mais ça nous a touchés", souligne Jean-Marc Dalain, 60 ans, petit-neveu du fusillé.

"Mon grand-père, le frère de Philippe, détestait les défilés militaires, je comprends mieux pourquoi maintenant", ajoute Michèle Dalain Sugier, petite-nièce du Poilu exécuté.

Seul Jean Bourges, 83 ans, neveu du fusillé se souvient que sa mère lui avait dit que le jeune soldat avait "fini tristement sans le mériter".

Né le 21 décembre 1896 à Barjac, fils d'un berger dont il est le huitième des neuf enfants, Philippe Dalen s'était engagé en 1914 dans l'armée à Nîmes en usurpant l'identité de son défunt frère ainé Léon car il n'avait pas l'âge requis.

En 1915, il est condamné à deux ans de prison pour ce subterfuge mais finalement renvoyé sur le front.

Le 14 mai 1916, alors que sa compagnie sort de la tranchée sous le feu, il disparaît et ne revient que le lendemain matin, affirmant ne se souvenir de rien.

Le 26 mai 1916, un conseil de guerre le condamne à mort. Le lendemain, le jeune homme de 19 ans est "passé par les armes" à Rosières (Somme).

Dès 1917, la famille Dalen, parfois orthographiée Dalain, disparaît de Barjac et n'est plus présente sur les listes électorales, souligne M. Delauzun, l'archiviste. Elle s'établit à 35 km, à Bourg-Saint-Andéol (Ardèche).

"On peut imaginer que dans un village, à l'époque, une telle mort ait été jugée infamante et que la famille ait dû quitter Barjac", explique à l'AFP le maire communiste Édouard Chaulet.

Jeudi, M. Chaulet a annoncé par téléphone à l'AFP et à plusieurs descendants réunis autour de la mémoire de Philippe Dalen que le nom de leur aïeul serait dévoilé sur le monument aux morts de Barjac le 11 novembre prochain.

Philoxime, mort dans un asile d'aliénés

PRÉMONTRÉ (Aisne) - Emeline Léger, 31 ans, a découvert ce que personne dans sa famille ne savait, sans doute à cause d'une "forme de honte": son arrière-grand-père, qui avait combattu de 1914 à 1918, est mort dans un asile d'aliénés.

"Il était devenu fou, il a été interné un petit mois, et il est décédé ici, le 18 mai 1931", raconte à l'AFP l'arrière-petite-fille de Philoxime Deson, dans la cour de l'hôpital psychiatrique de Prémontré dans le nord de la France, qu'elle visite pour la première fois.

Cette passionnée de généalogie a rassemblé plusieurs documents sur son aïeul, dont son grand-père parlait peu. Certificats de naissance, de mariage... et en 2017, de décès.

"La sœur aînée de ma mère a toujours entendu dire qu'il était mort d'une tumeur au cerveau. Je pense que c'était la façon de cacher le fait que c'était certainement honteux d'être interné dans un asile", poursuit-elle, l'unique photo de son ancêtre, en tenue militaire, entre les mains.

Né en 1885 dans le village de Cuirieux (Aisne), Philoxime a combattu du 3 août 1914 jusqu'à l'Armistice de 1918, notamment à Verdun. Revenu à la vie civile, il déménagera six fois, aura quatre enfants avant d'être interné d'office.

"Ça a été quelque chose de très fort quand Emeline me l'a dit", se souvient sa mère Chantal, 60 ans, très émue d'être aussi "là où est passé" son grand-père. "Ça me donne des frissons."

Jusqu'alors, le récit familial se bornait à dire qu'il "avait été gazé dans les tranchées".

"J'ai voulu me faire du mal, je ne peux pas manger parce que je n'ai plus rien du tout dans mon ventre, plus de cœur, plus d'estomac (...) Mes organes, on me les a pris. Celui qui l'a fait, je ne le connais pas", écrivait Philoxime en mars 1931, dans un entretien médical conservé par les Archives.

Et le médecin de noter: "Rigidité pupillaire. Affaiblissement psychique, euphorisme, inconscience de la situation".

Un document qui soulève beaucoup d'interrogations pour ses descendantes, convaincues que sa maladie était liée au traumatisme de la guerre: "Comment se manifestait le stress post-traumatique ? Est-ce qu'il a été abruti par tout ce qu'il a vu ? S'est-il rendu compte qu'il pétait les plombs ?"

Juliette, épouse d'un homme brisé

VILLENEUVE-LES-AVIGNON (Gard) - Le 19 septembre 1921, la vie heureuse de Juliette Magnien, jeune paysanne de Oisilly (Côte-d'Or) bascule: elle épouse un cultivateur d'un village voisin sans savoir que le moral et la santé de cet homme ont été anéantis dans les tranchées de 14-18.

"Toute sa vie est bouleversée par les conséquences de la guerre après ce mariage arrangé alors qu'elle avait 21 ans et sans doute d'autres aspirations", raconte sa petite-fille.

Juliette découvre rapidement que son mari, Marius Perrey, né en 1895 et considéré comme un "bon parti", est "de santé très fragile car il avait été +gazé+ sur le front de l'Est", explique Danièle Thévenin en montrant à son domicile gardois une photo de l'élégante jeune fille qu'était Juliette en 1915.

"Mon grand-père était un homme sensible qui pouvait s'enfermer dans un silence pesant, le regard perdu", se souvient l'enseignante et traductrice, âgée de 73 ans. "Il semblait assailli par des souvenirs d'une violence insupportable, doublés d'une souffrance due aux difficultés respiratoires qui lui ont valu d'être hospitalisé à de multiples reprises".

"Ma grand-mère devait veiller au quotidien sur la santé de son mari mais aussi souvent travailler pour deux dans une ferme dont elle ne possédait rien, tout en élevant sa fille", souligne-t-elle.

Juliette "était levée à l'aube pour monter au grenier, chercher le foin à donner aux vaches, les traire, s'occuper des veaux, des volailles, faire beurre et fromage, entretenir son jardin, cuisiner, et trouver encore le temps de tenir sa maison parfaitement propre et d'avoir une tenue soignée", relève sa petite-fille.

"Ce labeur si exigeant ne lui rapportait pourtant qu'un revenu infime", poursuit-elle.

Veuve prématurément, à l'âge de 55 ans, Juliette aura "une vie rude jusqu'à sa mort", vingt-sept ans plus tard, souligne sa descendante. La "dignité naturelle" de cette "femme de courage" reste une "source d'inspiration" pour sa petite-fille et pour son arrière-petite-fille qui a eu la chance de la connaître.

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