Une incertitude plane encore sur la poursuite de ce procès, le premier en France pour une fraude d'une telle ampleur, alors que la défense promet d'âpres batailles procédurales pour ce premier jour d'audience.
L'ambiance est au sourire, avant que les couteaux ne soient tirés. Un des prévenus s'est trompé et s'est rendu à l'ancien palais de justice. "Ce gars-là ne peut pas avoir fait de la fraude fiscale" se gausse un costume-cravate dans le public, déclenchant un grand rire parmi les costumes sombres et escarpins Louboutin dans les rangs de la banque.
Devant le tribunal et jusqu'à l'entrée de la salle d'audience, l'ex-banquier d'UBS Bradley Birkenfeld, qui avait révélé une fraude gigantesque au fisc américain, distribuait son livre, "Le Banquier de Lucifer".
Tout sourire, l'Américain en a conseillé la lecture, "édifiante", au représentant d'UBS, qui a rétorqué qu'il n'avait "pas eu le temps de le lire". "Bien sûr, vous êtes trop occupé", a ironisé Birkenfeld.
Jusqu'à la veille du procès, prévu trois demi-journées par semaine jusqu'au 15 novembre, la banque suisse a tenté de s'opposer aux poursuites.
L'enjeu est immense pour UBS, qui encourt une amende pouvant se monter "jusqu'à la moitié de la valeur ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment", selon le code pénal.
La maison mère UBS AG comparaît pour "démarchage bancaire illégal" et "blanchiment aggravé de fraude fiscale", sa filiale française pour "complicité" des mêmes délits.
Sont également jugés six hauts responsables de la banque en France et en Suisse, dont Patrick de Fayet, l'ex-numéro 2 d'UBS France: c'est son cas qui pourrait conduire à un report du procès.
Pendant l'enquête, Patrick de Fayet a reconnu sa culpabilité pour complicité de démarchage illicite et devait être jugé séparément via une procédure de plaider coupable. Celle-ci n'a finalement pas été homologuée, mais M. de Fayet ne figure pas dans l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, ce qui pose problème selon la défense.
"Dissimuler, placer ou convertir"
C'est autant le procès de la banque suisse qui s'annonce que celui d'une époque, ce temps béni pour les coffres forts suisses où évasion fiscale ne rimait pas avec fraude, avant la vaste offensive lancée dans la foulée de la crise financière mondiale de 2008.
UBS a fait valoir qu'elle avait agi en conformité avec le droit suisse et ne pouvait savoir si ses clients étaient ou non en règle avec le fisc de leur pays.
"UBS aura enfin la possibilité de répondre aux allégations souvent infondées", a indiqué la banque dans un communiqué.
Pour les juges d'instruction, entre 2004 et 2012, UBS a mis en place "pour ses clients résidents fiscaux français une série de services, procédés ou dispositifs destinés à dissimuler, placer ou convertir sciemment des fonds non déclarés" via notamment "des sociétés off-shores, des trusts ou des fondations".
En clair, le groupe suisse est accusé d'avoir illégalement envoyé ses commerciaux en France pour piocher dans la riche clientèle d'UBS France, repérée lors de réceptions, parties de chasse ou rencontres sportives, et de la convaincre d'ouvrir des comptes non déclarés en Suisse.
Pour masquer les mouvements de capitaux illicites entre les deux pays, la banque est aussi accusée d'avoir mis en place une double comptabilité - les "carnets du lait", utilisés pour comptabiliser des reconnaissances d'affaires dissimulées selon les juges, un simple outil d'évaluation des performances des banquiers selon la défense.
C'est ce système qui a été dénoncé par d'anciens salariés, comme Nicolas Forissier, ex-responsable de l'audit interne d'UBS France et l'un des principaux lanceurs d'alerte dans cette affaire.
Aux Etats-Unis, accusée d'avoir permis à 20.000 riches clients américains de se soustraire au fisc, UBS avait échappé à un procès en s'acquittant en 2009 d'une amende colossale de 780 millions de dollars.
Plus récemment, en janvier 2018, elle a versé 15 millions de dollars aux autorités américaines pour éviter des poursuites pénales pour manipulations concertées des marchés des métaux précieux.
UBS reste dans le viseur de la justice dans d'autres affaires, notamment l'enquête sur le scandale des "Panama Papers" et une affaire de fraude fiscale en Belgique. Sa filiale française sera quant à elle bientôt jugée pour le harcèlement de deux anciens employés.
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