"Turbulences sérieuses", "crise inédite": des responsables ont exprimé leurs craintes sans attendre les résultats complets du scrutin, prévus lundi.
Il s'agissait de désigner la présidence tripartite collégiale, mais aussi les assemblées parlementaires d'un pays aux institutions tellement complexes que beaucoup les jugent dysfonctionnelles.
Ce scrutin apparaît comme un nouveau coup aux institutions nées des accords de Dayton qui avaient mis fin au conflit intercommunautaire de 1992-95 (100.000 morts) en dessinant selon des lignes identitaires un pays divisé en deux entités largement autonomes, la République serbe de Bosnie (Republika Srpska) et une fédération croato-bosniaque, réunies par un faible Etat central.
Selon des résultats officiels provisoires, Milorad Dodik siègera aux côtés du Bosniaque Sefik Dzaferovic (SDA, conservateur) et du social-démocrate croate Zeljko Komsic dans la présidence.
Elle est censée représenter les trois "peuples constitutifs", Bosniaques (musulmans, la moitié de la population), Serbes (orthodoxes, un tiers) et Croates (catholiques, 15%).
Milorad Dodik, contempteur ancien des institutions centrales, a déjà annoncé qu'il oeuvrerait "uniquement dans l'intérêt ou au profit de la Republika Srpska", qu'il dirige depuis 2006.
'Obstruction'
Sa première action, a-t-il dit, sera d'exiger le départ du Haut représentant de la communauté internationale, censé garantir la paix et la stabilité, et des membres étrangers de la Cour constitutionnelle.
Il a expliqué qu'il s'assurerait "un soutien par ses contacts diplomatiques", évoquant notamment la Russie où il était allé rencontrer Vladimir Poutine durant la campagne.
Il "fera obstruction mais la présidence a des pouvoirs limités. Il pourra bloquer, mais pas imposer des décisions", dit Florian Bieber, spécialiste des Balkans à l'Université de Graz (Autriche).
"Il ne peut plus être un soliste", dit le commentateur politique de Sarajevo Ranko Mavrak. "Savoir s'il va y parvenir est une autre question, quand on connaît son caractère impulsif d'homme peu enclin au compromis".
Le Serbe ne représente pas la seule force centrifuge en Bosnie. La défaite du candidat de droite nationaliste (HDZ), Dragan Covic face à Zeljko Komsic, n'entame pas la détermination de la première formation croate à demander une entité propre, séparée des Bosniaques.
Dans leur fédération commune, Bosniaques et Croates se limitent en général à choisir le candidat de leur communauté. Mais ils peuvent légalement désigner les deux prétendants. C'est ce qu'ont fait dimanche de nombreux Bosniaques, qui pèsent pour 70% de la population de la fédération: ils ont voté Zeljko Komsic, héraut d'une "Bosnie citoyenne" dépassant les clivages identitaires.
'La défaite de la Bosnie'
Les Bosniaques "ne peuvent légitimement pas choisir les représentants croates. C'est un recul", a dénoncé Dragan Covic, pour qui la victoire de Komsic "risque d'entraîner une crise inédite en Bosnie". "Les Bosniaques ont encore choisi pour les Croates: la défaite de la Bosnie-Herzégovine", titre le quotidien croate Vecernji List.
"Le HDZ a généralement choisi l'escalade et la confrontation après avoir perdu des élections. Il est probable qu'ils suivront la même stratégie", met en garde Florian Bieber. Le HDZ a des atouts pour cela: dans la partie parlementaire des élections de dimanche, le HDZ devance le parti social-démocrate de Zeljko Komsic.
En observateur, le candidat serbe battu par Milorad Dodik, le centriste Mladen Ivanic prédit des "turbulences sérieuses" dans la fédération croato-bosniaque avec un "dénouement (qui) interviendra dans longtemps".
"Quand il s'agit du pouvoir, les politiciens bosniens sont beaucoup plus disposés au compromis qu'on ne peut initialement le penser", relève Ranko Mavrak. Il n'exclut pas que ceux qui se lancent des anathèmes aujourd'hui s'allient demain pour des places dans un gouvernement multicommunautaire. Mais les tractations pour le former pourraient prendre des mois.
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