Après une campagne menée sur une ligne communautaire, Milorad Dodik va coprésider un pays divisé, qu'il a qualifié par le passé de "pays raté" et qui n'est, à ses yeux, "pas un Etat". Avec 55,15% des voix, il devance son adversaire centriste Mladen Ivanic (41,98%), selon la commission électorale qui a annoncé ces résultats sur la foi du dépouillement de 43% des suffrages.
Le candidat du principal parti bosniaque (musulman), le SDA (conservateur), Sefik Dzaferovic, a remporté 37,9% des voix bosniaques, après une campagne également menée sur une ligne identitaire.
En revanche, chez les Croates, le candidat de la droite nationaliste, Dragan Covic (38,66%), a été battu par le social-démocrate Zeljko Komsic (49,47%).
La présidence collégiale est notamment en charge des politiques étrangère et de défense, l'essentiel du pouvoir, notamment la police, l'éducation ou la politique économique, étant entre les mains des deux entités qui forment le pays, la République des Serbes de Bosnie (Republika Srpska) et la Fédération croato-musulmane.
Mais Milorad Dodik, qui dirige la Republika Srpska depuis 2006, pourrait désormais utiliser sa nouvelle position pour "oeuvrer à la décomposition de la Bosnie", redoute l'analyste Tanja Topic.
Dotées d'une grande autonomie, les deux entités sont reliées par un faible Etat central, incarné par la présidence collégiale tripartite.
Les Bosniaques (musulmans) représentent plus de la moitié des 3,5 millions d'habitants, pour un tiers de Serbes (orthodoxes) et 15% de Croates (catholiques).
Le vote de dimanche, qui s'est déroulé sans incident notable selon la commission électorale, était donc aussi complexe que des institutions dessinées selon des lignes identitaires après la guerre intercommunautaire de 1992-95.
Tractations compliquées en vue
Et il pourrait être suivi par des mois de tractations tout aussi compliquées, pour former un gouvernement central qui doit comporter des représentants des trois "peuples constitutifs".
D'autant que plusieurs forces politiques, pourraient choisir de bloquer le processus.
C'est notamment le cas de la droite nationaliste croate, autour de Dragan Covic, qui réclame une entité propre pour les Croates. S'ils ont été battus pour la présidence, elle pourra s'appuyer sur ses députés.
Parmi les électeurs, beaucoup se sont rendus aux urnes en exprimant une forte lassitude envers leur classe politique.
"Ces gens sont depuis très longtemps au pouvoir. Certains pensent qu'ils sont des Dieux", dit Vesna Paul, employée de banque d'une cinquantaine d'années de Banja Luka (nord), capitale des Serbes de Bosnie.
Vingt-cinq ans après le conflit qui a fait 100.000 morts, plusieurs ont encore joué sur la corde nationaliste, Milorad Dodik, Dragan Covic, mais aussi les prétendants bosniaques.
Votant dans son village de Laktasi (nord), Milorad Dodik a expliqué dès dimanche qu'il exercerait sa charge "uniquement dans l'intérêt ou au profit de la Republika Srpska".
Une de ses supportrices de Laktasi, Jadranka Pavic, expliquait attendre de lui qu'il aille "à Sarajevo pour lutter contre eux là-bas".
Listes sujettes à caution
Selon l'analyste politique Zoran Kresic, lassés "des mêmes histoires, des messages guerriers et de l'impossibilité à vivre ensemble, (...) la plupart des jeunes voient leur avenir en dehors de la Bosnie".
Le revenu moyen du pays est de 430 euros, le chômage touche de 20% à un tiers des habitants, selon les critères retenus.
La veille du scrutin, le groupe hip-hop de Sarajevo "Helem Nejse" a sorti un clip : un père couche ses enfants avant de prendre un bus pour l'Allemagne. Les paroles résument l'état d'esprit de beaucoup : "Vous avez mené les guerres, maintenant vous menez la paix", "Depuis plus de vingt ans vous œuvrez pour diviser", "Vous m'écœurez dans les trois langues", le bosniaque, le croate et le serbe.
Dans un rapport récent, l'ONG Transparency International détaillait les irrégularités électorales lors des élections locales de 2016, notamment la promesse d'embauche aux électeurs dans les entreprises publiques, tenues par les partis. Avec l'administration, elles pèsent pour 25% des emplois du pays.
Les listes électorales sont notamment sujettes à caution : elles comptent 3,3 millions d'électeurs, soit à peine moins que le nombre d'habitants, et un million de plus qu'en 2004. "Est-ce qu'on meurt dans ce pays?", ironise Amer Bekan, président d'un petit parti.
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