Les nuits sont d'ordinaire calmes à Saint-Arnoult-en-Yvelines, au sud-ouest de Paris. Alors, quand Elisabeth Curé, qui habite au-dessus de son magasin, a entendu l'impact de pavés projetés contre la vitrine de sa boucherie à 03H00 la semaine dernière, elle a "été surprise".
Les inconnus ont aussi tagué "stop répression", "c'est comme ça que j'ai su que c'était des vegan radicaux", explique Mme Curé.
Sa mésaventure est l'un des derniers avatars de la vague de dégradation et destruction de vitrines qui vise boucheries, charcuteries, fromageries et abattoirs, et va du faux sang versé sur la façade des magasins à la pose d'autocollants condamnant le "spécisme" et la "répression".
Dans la nuit de jeudi à vendredi, un abattoir a été partiellement détruit par un incendie apparemment criminel dans l'Ain. Dans la foulée, le président de l'interprofession des viandes bovines Interbev et celui de l'interprofession des viandes porcines Inaporc ont demandé à Emmanuel Macron d'"enrayer immédiatement" les "violences sectaires qui ne peuvent qu'aboutir à une guerre civile".
Pour les antispécistes, le spécisme (du latin "species", l'espèce) est une idéologie qui postule une hiérarchie entre les espèces, notamment entre l'être humain et les animaux. Cette philosophie, qu'accompagne une alimentation végétalienne (qui proscrit tout produit issu des animaux), connaît une fortune aussi fulgurante que récente en France.
"Depuis le début de l'année, on en est à 17 vitrines de boucheries détruites et des dizaines de dégradations", déplore Jean-François Guihard, président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT) qui représente 18.000 points de vente.
"L'Etat doit prendre les mesures nécessaires", juge-t-il en demandant à rencontrer les ministres de l'Intérieur et de la Justice pour endiguer cette "forme de terreur".
Interrogé au début du mois sur RMC-BFMTV, Gérard Collomb, qui les a reçus cet été, a assuré aux bouchers-charcutiers qu'ils pouvaient "compter sur (lui)".
"La vache qui crie"
Mi-septembre six personnes ont été interpellées dans l'enquête sur la vandalisation de neuf commerces, dont des boucheries et poissonneries, dans la métropole lilloise.
Mais, si aucun groupe n'a revendiqué ces actions, bouchers et autorités pointent du doigt une frange minoritaire et violente de l'antispécisme militant.
Parmi les mouvements et associations qui ont fait parler d'eux, L214, 269 Life France et Boucherie Abolition ont entrepris les actions les plus spectaculaires.
L214 s'est fait connaître en diffusant des images choc tournées en cachette dans des élevages ou des abattoirs.
Créée il y a deux ans, Boucherie Abolition se bat "pour l'abolition du génocide appelé boucherie", explique sa porte-parole Solveig Halloin. "Eleveur ne devrait pas être un métier. La routine de l'élevage c'est la violence et la persécution. La vache ne rit pas, elle crie", dit-elle.
Si elle ne revendique aucune dégradation, Solveig Halloin ne les condamne pas, car "les extrémistes de la brutalité, ce sont les bouchers".
Samedi dernier, Boucherie Abolition a organisé avec 269 Life France des happenings devant des boucheries. A Paris, Vincent Aubry et une autre militante de Boucherie Abolition portaient un petit cochon mort qu'ils ont exhibé devant des boucheries pour dénoncer ces commerces qui "vendent du meurtre".
Vincent Aubry ne condamne pas non plus les destructions, mais il se dit "prêt à aller en prison s'il le faut". "Notre seule limite, c'est la violence contre les êtres humains", assure-t-il.
"Aucune conciliation possible"
Si en France l'émergence de ces mouvements date d'il y a quelques années, les actions directes antispécistes "ne sont pas récentes" ailleurs en Occident, rappelle Marianne Celka, enseignante-chercheuse à l'université Paul-Valéry de Montpellier.
Dès 1975, l'Australien Peter Singer sort "La libération animale", le livre fondateur des mouvements modernes de défense des droits des animaux. Dans l'Angleterre des années 1960, le Front de libération des animaux sabote des chasses à courre, puis avec le temps certains s'attaquent aux boucheries.
Depuis, le véganisme a gagné du terrain en France, à tel point que certaines grandes surfaces proposent des produits "100% vegan"... parfois à côté de leur rayon boucherie, poursuit Marianne Celka.
Les actions violentes seraient soit le fait "d'anciens activistes échaudés par la manière que le système a eu d'absorber la critique (...), soit dues à d'autres activistes qui sont arrivés là par le biais du véganisme et qui, en creusant, en sont venus à la critique antispéciste".
L'universitaire ne voit "aucune conciliation possible" entre antispécistes et bouchers.
Et pour cause: Solveig Halloin qualifie les bouchers de "vandales". De l'autre côté, Jean-François Guihard, qui les représente et les défend, dit "craindre le pire".
"Ca n'est pas notre souhait, mais certains bouchers pourraient répondre à la violence par la violence", prévient-il.
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