"L'aéroport ? Il a été construit autour de moi!" Chemisette et treillis immaculé laissant voir des chaussettes à pois, le "toubib" monté sur ressorts se remémore ce jour de 1974 où il posé sa mallette et son humour corrosif dans un "Paris-Charles de Gaulle" en plein chantier.
A l'aube de l'ère du tourisme de masse, "on pensait qu'on allait avoir un crash par semaine et qu'il fallait avoir des médecins sur place". "Du coup on est d'abord resté là à attendre que les avions tombent", raconte cet homme qui célèbrera le 8 octobre ses 70 ans et son départ en retraite.
Faute de catastrophes aériennes, naît l'idée de construire un dispensaire pour soigner les passagers (70 millions par an aujourd'hui), mais aussi les salariés de la plateforme (85.000).
Quarante ans plus tard, caché derrière l'une des nombreuses portes du terminal 2, le service médical d'urgence - deux médecins, trois infirmières et deux ambulanciers- ressemble à un "mini-hôpital" ouvert tous les jours 24h/24, avec salles de réanimation et de quarantaine, en cas d'épidémie grave.
Sa clientèle ? "Le voyageur qui fait un infarctus, la jeune mariée qui part en voyage de noce et a oublié sa pilule, le pèlerin en partance pour la Mecque qu'il faut vacciner contre la méningite", énumère le Docteur Bargain. Mais aussi les sans-abri qui errent dans les aérogares, ses "aliénés migrateurs en orbite planétaire" comme il les appelle dans un phrasé digne des films de Michel Audiard.
"Docteur House"
Et puis il y a les passeurs de drogue, qu'il examine sur réquisition des douanes. Le médecin se souvient encore avec excitation du jour où il a été confronté à son premier "bouletteux", fin novembre 1981. Un passager du Bombay-Paris arrive dans le coma. Dans son rectum, des boulettes d'héroïne dont l'enveloppe en cire d'abeille a fondu : il a fait une overdose.
Depuis, des milliers de "mules" ont défilé dans la salle d'examen qui leur est désormais dédiée. Chaque année, 140 de ces passeurs y sont confondus.
Au rang des mauvais souvenirs, le soignant égrène de mémoire les dates exactes des catastrophes aériennes : l'attentat contre le DC10 d'UTA (1989), le crash du Concorde (2000), celui de Charm-el Cheikh (2004) ou de la Yemenia aux Comores (2009). "Beaucoup de gens ne savaient pas lire, il a fallu donner les noms des morts au micro..."
A ses côtés lors de beaucoup de ces "moments épouvantables", le grand rabbin de France Haïm Korsia, qui officie comme aumônier des aéroports, décrit "un passeur d'humanité", "plus Docteur House qu'hyper-compassionnel" mais expert dans l'art de la dédramatisation.
Cette "tolérance à la mort", Philippe Bargain l'explique par un double atavisme, familial et territorial : une enfance passée au sein d'une famille de médecins à Loctudy, un petit port de pêche du Finistère où il vécut son premier naufrage à l'âge de 9 ans.
Sa tempête, il l'a traversée en 1997, avec une mise en examen pour viol à la suite de la plainte d'un passeur de cocaïne, qui l'accusait de l'avoir violenté lors d'un examen.
"J'ai failli me flinguer", lâche-t-il. L'affaire s'est soldée par un non-lieu. "Avec le soutien de ma femme et de mes enfants, je me suis défendu : j'ai allumé le ventilateur à caca et attaqué la presse en diffamation. Deux ans après, on me donnait la légion d'honneur, puis des tas d'autres médailles", dit-il.
Accro à "la magie" de l'aéroport, "un lieu où on a le monde entier sous les yeux", le Docteur Bargain appréhende la retraite.
Pour faire ses "40 jours de deuil", il partira dès cet automne en mission dans un dispensaire en Guyane, avec son épouse, infirmière, qu'il qualifie non sans provocation d'"elfe ménager", de "sainte" ou encore de "logisticienne".
"Je suis d'une génération où les hommes ne savent rien faire", confesse-t-il.
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