Dans la province de Bassora, à la pointe sud irakienne, le palmier a toujours été roi: c'est lui qui faisait marcher le commerce, alimentait les ports et faisait vivre l'agriculture.
Mais, se rappelle Salem Hussein, 66 ans dont 40 à vendre des dattes, la guerre Iran-Irak (1980-88) a décimé les palmiers sur le territoire irakien, qui comptait autrefois plus de dattiers que d'habitants.
Le long du Chatt al-Arab, qui marque la frontière entre ces deux pays, la plupart des palmiers sont partis en fumée, touchés par des obus et autres roquettes. Sur des dizaines de kilomètres, un paysage de désolation borde désormais cette langue de mer qui serpente dans les terres.
Dans le pays "aux 30 millions de palmiers", Salem s'était pris à rêver de palmeraies gigantesques et de plus d'espèces encore que les 450 que comptait alors l'Irak.
Aux Etats-Unis et au Japon
"On pensait se développer et doubler le nombre de palmiers, mais ce chiffre n'a fait que diminuer", officiellement de moitié. "On espérait le meilleur pour l'avenir et on a eu le pire", se lamente cet homme en djellaba bleu ciel, calotte blanche au-dessus de son visage buriné par le soleil.
Au gré des guerres à répétition et de l'exode rural qui a fait exploser la population des villes et transformé les terres agricoles en quartiers informels, le nombre de palmiers a fondu, les canaux d'irrigation se sont transformés en égouts à ciel ouvert et la ceinture verte qui faisait baisser les températures de quelques degrés a fondu comme neige au soleil.
Au milieu de sa palmeraie désolée, où le verger censé croître à l'ombre des palmiers - désormais rabougris et pour certains à terre - n'est plus qu'un agrégat de bois sec et de ruches désertées faute d'eau, Raëd al-Joubayli raconte la "tragédie" des cultivateurs, entre sécheresse et pollution des installations pétrolières.
"Acheter un palmier coûte environ 250 dollars. L'entretenir coûte environ 12 dollars par saison, alors que ses quatre kilos de dattes ne se vendent pas à plus de 3,5 dollars" au total, calcule-t-il pour l'AFP.
Pourtant, se rappelle-t-il, cet "héritage ancestral" a fait les grandes heures de la région car "dans le palmier, rien ne se jette". "Les dattes apportent sucre et énergie à l'homme; les palmes, qui font de l'ombrage, une fois tressées font des balais; le bois fait des meubles", détaille-t-il.
Avant la guerre Iran-Irak, la datte irakienne s'exportait jusqu'"aux Etats-Unis, au Japon et en Inde", assure Salem Hussein, depuis son magasin où il écoule chaque année 250 tonnes de dattes locales, et quelque 50 tonnes transformées en vinaigre, en sirop et en fruits fourrés ou enrobés.
Car à Bassora, comme ailleurs en Irak, "il faut des dattes à chaque déjeuner, et aussi pour des en-cas entre deux repas", assure Mehdi, 68 ans, venu avec son épouse Leïla acheter un kilo de dattes, qu'ils avaleront, assure-t-il, en deux ou trois jours à peine.
Concurrence régionale
Leïla dit n'acheter que "de la datte de Bassora car c'est la reine des dattes". Mais à 5.000 dinars le kilo (un peu plus de quatre dollars), les familles ne peuvent se permettre une telle dépense dans un pays miné par le chômage et la pauvreté.
Pour contenter ses clients les moins aisés, Aqil Antouch a dû se résoudre à vendre des dattes iraniennes, saoudiennes, émiraties et koweïtiennes.
Les cultivateurs irakiens, étouffés par la sécheresse, ont fait monter les prix de "dattes de plus en plus petites faute d'eau", rapporte-t-il, tandis que "les Saoudiens, qui produisent en quantité, veulent écouler leur marchandise et baissent les prix jusqu'à 1.500 dinars le kilo", soit à peine plus d'un euro.
Saddam Hussein, le dictateur déchu en 2003, "n'a jamais laissé une datte étrangère entrer en Irak", lance ce commerçant de 52 ans, qui tient boutique sur la rue al-Djazaïr au centre de Bassora depuis 25 ans.
Sous l'ancien régime, alors que le pays était sous embargo, se rappelle de son côté Mehdi, qui avait des palmiers dans son jardin, "on allait à la direction de l'Agriculture en amenant une palme malade et elle était examinée comme un humain qui irait chez le médecin".
Depuis la chute de Saddam Hussein lors de l'invasion américaine, des palmeraies ont été rasées pour laisser place à l'industrie du pétrole, première source de revenu de l'Etat. Les parcelles ont été vendues au promoteur le plus offrant ou à des particuliers désireux de construire, céder ces terres s'avérant plus lucratif que de continuer à cultiver les dattes. Et la production nationale s'est fait largement doubler par les dattes importées.
Comble de l'ironie, la plupart de ces dattes venues d'ailleurs sont issues de tiges replantées dans le Golfe après avoir été achetées il y a quelques décennies... en Irak!
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