Il y a quelques semaines encore, ces deux hommes ignoraient tout l'un de l'autre, jusqu'à leur existence mutuelle. Jusqu'à ce que des tests ADN leur révèlent qu'ils avaient le même père, Bill Henderson, un GI mobilisé en Normandie pendant la Seconde guerre mondiale.
Tous deux en jeans et chemise à carreaux, André Gantois, 72 ans de Ludres (Meurthe-et-Moselle), et Allen Henderson, 64 ans, de Greenville (Caroline du Sud) se sont retrouvés lundi à Colleville-sur-Mer (Calvados) où leur père a débarqué parmi les 132.700 Alliés mobilisés le "Jour J".
Venus avec des membres de leurs familles, ils ont assisté à la descente du drapeau américain, au son de l'hymne militaire, au milieu des quelque 9.000 croix blanches surplombant les plages du Débarquement. Mort en 1997, le GI Henderson est enterré à Los Angeles.
André Gantois se savait des origines américaines mais pendant des décennies le doute a subsisté. "Enfant de la guerre" né d'une mère française, Irène, il a 15 ans quand il apprend à sa mort son histoire d'amour avec un soldat américain.
Irène, qui avait rencontré Bill dans l'armée américaine, où elle s'était enrôlée pour gagner sa vie, était tombée enceinte en Allemagne en avril 1945. Elle avait revu son amant après la guerre mais avait caché à ce dernier qu'elle était enceinte. Elle est morte en 1961, à seulement 37 ans.
André Gantois naît en 1946, orphelin d'un père dont il ignore le nom. Lancé dans une quête éperdue pour trouver son père, sa première tentative à 20 ans à l'ambassade des États-Unis à Paris reste vaine. "On m'a répondu que ce que je demandais, c'était comme chercher une épingle dans une meule de foin", raconte-t-il.
Les autorités américaines étaient sceptiques à l'idée qu'il fasse des recherches pour obtenir des aides, selon son fils et avocat Alexandre.
Jusqu'à ce que sa belle-fille l'oriente vers un institut américain spécialisé en recherche d'ADN.
"C'était une recherche inespérée. De toute façon, je disais toujours que je mourrais sans connaître mon père", confie à l'AFP ce retraité, ancien fonctionnaire de La Poste.
"C'est mon jumeau!"
En juillet, il reçoit deux éprouvettes et deux bâtons, effectue un prélèvement dans la bouche qu'il envoie aux États-Unis. Il ne sait pas que trois semaines avant lui, cette entreprise a été chargée, par la famille Henderson, de mener une recherche généalogique basée sur l'ADN.
Les résultats tombent début août: "les tests se sont croisés et l'agence a déterminé que j'avais un frère aux États-Unis et que j'étais de famille américaine", raconte André Gantois encore "retourné" par son histoire.
Allen Henderson a été tout aussi surpris: "J'ai dit: j'ai un frère! En France !", a-t-il raconté lundi. "Quand ils ont envoyé la photo, j'ai dit: c'est mon jumeau! Aucun doute!", a-t-il ajouté.
"Nous étions si excités d'avoir une famille en France. Cela a changé notre vie pour toujours", a ajouté Allen, la main posée sur l'épaule de son frère. C'était la première visite en France de l'Américain, qui avait apporté une médaille de son père, et s'est dit "très émotif" et "très choqué".
André Gantois, qui se déplace avec une canne, a lui dit avoir été "sur le cul" quand il a appris qu'il avait un frère américain. "Quand je l'ai vu samedi, je me suis dit: je me trompe pas c'est bien lui, on se ressemble", a-t-il ajouté. "A 72 ans, ça arrive un peu tard mais il faut pas être trop exigeant."
Il a affirmé ne pas savoir s'il lui rendrait visite aux États-Unis. "J'ai toujours eu les pétoches de l'avion (...) Il va falloir que je travaille sur moi-même".
Plus de 70 ans après, la question des enfants nés de Françaises et de soldats alliés reste méconnue, souligne Emmanuel Thiébot, historien au Mémorial de Caen.
Si on sait notamment que quelque 200.000 Français sont nés de soldats allemands, il n'existe, faute d'étude sérieuse à ce jour, aucun chiffre officiel sur les enfants nés de soldats alliés, souligne l'historien.
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