Les premières heures de la matinée sont les plus fébriles pour le Khost maternity hospital, que l'ONG médicale surnomme avec tendresse sa "baby factory", son usine à bébés, installée à un jet de pierre des zones tribales du Pakistan dans la province de Khost.
Les routes sont souvent dangereuses à la nuit tombée dans ces territoires arpentés par les talibans et le réseau insurgé Haqqani: aux premières contractions la veille au soir, Asmad Fahri, 25 ans, savait qu'elle devrait attendre le lever du jour pour entreprendre les trois heures de voyage.
Elle repose enfin, souriante dans un entrelacs d'étoffes, son nourrisson endormi entre les genoux, emmailloté dans un lange serré. En moyenne, les mères sont gardées six heures mais elle a demandé à partir au bout de trois, pour rentrer avant la nuit.
Dans l'aile en face, les tables d'accouchement accueillent sans discontinuer de nouvelles venues. La plupart n'ont pu que relever leurs robes fleuries et garder leurs bijoux scintillants, leur voile de couleur coincé entre les dents, sans avoir eu le temps de passer le pyjama rouge de MSF.
24.000 bébés par an
Ouvert fin 2012 dans un désert médical, le Khost Maternity Hospital (KMH) a rapidement été débordé par son succès: pour sa première année complète en 2013, il a pratiqué près de 12.000 accouchements. Quatre ans plus tard en 2017, 23.000. Vu le premier semestre 2018, la barre des 24.000 naissances est déjà en vue, assure le Dr Rasha Khoury, gynécologue palestinienne et responsable médicale du site.
Avec 2.000 naissances par mois, le KMH fait naître presque autant de bébés que la principale maternité des Etats-Unis (27.000 au Northside Hospital d'Atlanta en 2016), dans un pays qui bat des records de mortalité maternelle. Par comparaison, la plus grande maternité de France métropolitaine (à Lille) accouche moins de 500 bébés par mois.
"Ici on sauve des vies et on le fait gratuitement", sourit Safia Khan, 24 ans, responsable adjointe de l'équipe de sages-femmes. Ce qui amène aussi les patientes à se présenter alors que le travail est déjà largement engagé, pour être sûres de ne pas être renvoyées vers un autre établissement, glisse-t-elle.
Derrière elle, une jeune mère de jumeaux fouille ses jupes et tend un billet replié à la sage-femme. Un geste traditionnel de gratitude après la délivrance, exigé parfois dans certains hôpitaux mais poliment décliné ici. "C'est interdit", insiste Safia.
MSF s'est installé à Khost pour y accueillir les cas compliqués et réduire la mortalité maternelle, toujours vertigineuse en Afghanistan 17 ans après la chute du régime taliban.
Des chiffres fantaisistes circulent: 390 décès pour 100.000 naissances, qui feraient croire au miracle. Mais les estimations sérieuses des acteurs de terrain sont bien moins optimistes, jusqu'à 1.290 décès/100.000, renvoyant le pays en bas du classement mondial, malgré les milliards de dollars d'aide internationale.
Six ans après sa fondation, "MSF assure 40% des naissances de la province", dont 12% de cas complexes qui auront nécessité une intervention, pour une population estimée à 1,5 million d'habitants, reprend le Dr Khoury. "Il faudrait trois hôpitaux comme celui de MSF", estime la gynécologue.
L'ONG apporte son soutien à l'hôpital public de Khost et, depuis 2015, à cinq dispensaires de districts qui ont vu le nombre d'accouchements passer en moyenne de 60 à 200 par mois.
Pachtounwalli
Mais la maternité de MSF garde la faveur des femmes: "Les gens n'aiment pas être renvoyés ailleurs", assure Abdul Rahim, directeur de l'information médicale de la maternité. Il dénonce "la mauvaise gestion, le manque de personnel et la corruption" de l'hôpital public.
MSF emploie 430 Afghans à Khost dont 80 sages-femmes recrutées localement, et une quinzaine d'expatriés dont des obstétriciennes, en nombre insuffisant en Afghanistan.
Le personnel médical est exclusivement féminin, à l'exception parfois des anesthésistes et du directeur du service de néonatalogie: au coeur du pays pachtoune le plus conservateur, jamais une femme ne montre son visage à un étranger.
S'installer à Khost imposait de s'ajuster aux mentalités et à la stricte ségrégation entre hommes et femmes dictée par le pachtounwalli, le code d'honneur en vigueur, rappelle Salamat Khan Mandozai. Cette figure locale respectée assure depuis l'aube du projet les relations avec la communauté locale et "tous les acteurs" de la région, même les moins fréquentables.
"Nous n'avons jamais été menacés", se félicite-t-il.
Dans cet environnement rural, certaines femmes continuent de préférer accoucher à domicile. Se rendre à l'hôpital les gêne, explique Safia Khan. La naissance reste une affaire privée.
"Nous ne sommes pas naïfs, beaucoup de femmes ne viennent pas à nous. Mais les familles qui arrivent ici le font sans hésiter", estime le Dr Khoury. "Pour beaucoup, les obstacles sont plutôt financiers - payer le transport - ou sécuritaires, surtout la nuit", ajoute-t-elle.
Les femmes doivent aussi attendre qu'un homme de la famille soit disponible pour les accompagner - la tutelle masculine reste incontournable.
Mais dans l'enceinte de l'hôpital, le pouvoir revient aux belles-mères, qui escortent les parturientes et les encouragent jusqu'aux portes de la salle d'accouchement.
"Nous touchons ici des gens qui vivent aux marges de la société afghane, dans un contexte politique exigeant", relève le Dr Khoury. "Pour moi (...), c'est une success story".
A LIRE AUSSI.
Au Pakistan, les nouveaux-nés victimes d'un système de santé sinistré
Dans le Donbass, baby boom sous les bombes
Caen : le premier bébé de l'année 2018 est né au CHU
A Paris, un havre accueille les femmes à la rue à la sortie de la maternité
A Bordeaux, un "cordon numérique" nourrit le "lien entre bébé et maman"
Envie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nousEnvie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nous
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.