"Le week-end, dès 07H00 du matin, quand je sors mon chien, il y a des gens ici. Ils se prennent en photos, font des vidéos", raconte Catherine Boukhiar, 59 ans, en montrant les marches du "Palacio", bâtiment principal des "Espaces d'Abraxas" situés à Noisy-Le-Grand.
"Il y a même des Coréens, des Allemands, des Américains qui viennent", ajoute Mareme Fall, 47 ans. Présidente d'une association d'habitants, elle vit depuis 14 ans dans cet ensemble de 600 logements, conçu en 1978 par le célèbre architecte catalan Ricardo Bofill.
Marquée par la démesure, la cité de béton rosé aux lignes futuristes, dont la place centrale évoque un théâtre antique, sert régulièrement de lieu de tournage: du film culte d'anticipation "Brazil" de Terry Gilliam (1985), au blockbuster américain "Hunger Games" (2014), en passant par le clip de "Ouragan" de Stéphanie de Monaco.
Dégradée et critiquée, à l'instar d'autres grands ensembles, elle a pourtant failli être démolie.
Aujourd'hui, l'objectif est tout autre: d'importants travaux sont en cours. Et la maire LR Brigitte Marsigny, qui entend bien faire des Abraxas un atout pour sa ville, a décidé d'y associer l'architecte d'origine.
Assis sur les marches du "Palacio", un jeune homme en veste et chemise dessine les façades massives et les colonnes qui lui font face. A ses côtés, une salade de boulghour entamée. "Je viens parfois déjeuner ici, j'avais envie de les dessiner depuis un moment", explique Max Yvetot, 30 ans, directeur financier.
Quand d'autres vont au musée le week-end, ce Parisien prend le RER pour découvrir l'architecture des cités: "dans ma génération c'est assez à la mode, on est nombreux à aimer aller en banlieue parisienne, visiter des quartiers où, en théorie, il n'y a pas grand chose à voir."
Une démarche qui reste encore "assez confidentielle", précise Béatrix Goeneutte, directrice de la Maison de banlieue et de l'architecture. Située en Essonne, cette petite structure organise expositions et visites de grands ensembles, qui font le plein et touchent 3 à 4.000 personnes par an.
Pyramides, Etoile et Nuages
Parmi les visiteurs, des passionnés d'architecture mais aussi des riverains, désireux de connaître l'histoire des barres et tours sorties de terre après-guerre et sous les Trente glorieuses, pour répondre à la crise du logement.
D'abord symboles de la modernité, ces quartiers sont ensuite dénigrés, avec la dégradation de la situation économique et sociale et les défauts de certains projets. Une mauvaise image qui a longtemps fait oublier la valeur architecturale de certains d'entre eux.
Pourtant, un "changement de regard" est en train de s'opérer, estime Benoît Pouvreau, historien au Conseil départemental de Seine-Saint-Denis. "Le temps passe et, pour la nouvelle génération, les grands ensembles ont toujours été là, ils font partie du paysage urbain", explique-t-il.
Signe de cette évolution, le ministère de la Culture a lancé au début des années 2000 le label "Patrimoine du XXe siècle". Des églises, des stations de métro ou des squares ont ainsi été classés. Mais aussi des cités.
La Grande Borne à Grigny, les Pyramides d'Evry, les tours Nuages construites par Emile Aillaud à Nanterre ou son immeuble en forme de serpentin à Pantin: aujourd'hui 40 ensembles d'habitation sont labellisés en Ile-de-France. Seules quelques cités des années 30 - Germain Dorel au Blanc-Mesnil ou les Dents de scie à Trappes - sont classés au titre des monuments historiques.
Une politique de "patrimonialisation" encore balbutiante, mais déjà prise en compte dans certaines réhabilitations comme celle de la Cité de l'Étoile à Bobigny, conçue par les architectes Candilis, Josic et Woods en 1956, après l'appel de l'abbé Pierre.
Le but n'est pas de mettre les grands ensembles "sous cloche", souligne Béatrix Goeneutte, mais de montrer que "la banlieue n'est pas qu'une dalle de béton coulée des années trente à nos jours". Une manière aussi de rappeler qu'elle a "une histoire, qui compte autant que celle de la capitale".
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