Sous l'impulsion d'une nouvelle figure de proue, Bobi Wine, un chanteur devenu député, les jeunes Ougandais se découvrent audacieux et défient le gouvernement. Fini le temps où personne ne s'indignait publiquement quand le président Yoweri Museveni chargeait la police de faire taire ses opposants.
Des traces noires balafrent la route trouée de nids-de-poule à l'extérieur du petit salon de coiffure de Josephine Katumba, là où les habitants ont pris l'habitude de brûler des pneus pour protester contre l'arrestation de Bobi Wine, pop star charismatique et inattendue figure de l'opposition.
On lit des graffiti "Free Bobi Wine" partout.
"Ça fait longtemps que les gens veulent du changement", dit Josephine Katumba, en tressant les cheveux d'une cliente avec adresse. "La différence, c'est que Bobi est jeune et qu'il parle au nom des jeunes."
"Président du ghetto"
Pop-star, Bobi Wine a mêlé des textes sur la justice sociale et la pauvreté à des rythmes afrobeat accrocheurs. Ils lui ont valu de la part de ses fans, souvent jeunes et pauvres, le surnom de "Son Excellence le président du ghetto".
En 2017, il est élu député sous son vrai nom, Robert Kyagulanyi, et devient vite populaire par son opposition ouverte à l'encontre du dirigeant ougandais, au pouvoir depuis 1986.
M. Museveni est le seul président que la plupart des Ougandais connaissent, dans un pays où un habitant sur deux a moins de 16 ans, tandis que le chef de l'État en a 74. Et celui-ci s'accroche, ayant fait modifier la Constitution à deux reprises pour supprimer les limites d'âge, et être autorisé à se présenter pour un sixième mandat en 2021.
Auparavant, l'opposition était symbolisée par Kizza Besigye, 62 ans, ancien camarade de Museveni battu quatre fois aux élections.
M. Besigye "fait partie d'un système politique enkysté dans lequel aucun changement n'est possible sans un nouveau leadership," estime Anna Reuss, analyste indépendante basée à Kampala.
"Besigye peut aider, mais il n'est pas du ghetto. Bobi peut venir nous parler dans la rue", constate Katumba.
Accusé de trahison
La combinaison de "l'âge, du passé et de l'histoire" du chanteur représente un défi que Museveni n'a jamais rencontré au cours de ses 32 années de règne, observe l'écrivaine et analyste politique ougandaise Rosebell Kagumire.
Mais en Ouganda, vouloir faire bouger les choses est risqué.
Robert Kyagulanyi a surfé au Parlement grâce à une vague de soutien, jeune et urbaine. Il a rapidement été le fer de lance de la résistance à une initiative du parti au pouvoir pour supprimer les limites d'âge, ce qui a ouvert la voie à une présidence à vie pour Museveni. Il a aussi lancé des manifestations cette année contre une nouvelle taxe sur les médias sociaux.
L'image de Kyagulanyi, coiffé de son béret rouge, à la tête d'une foule de partisans dans les rues, est devenue omniprésente.
En août, Museveni et lui se sont retrouvés face à face. Les deux hommes se sont rendus dans la ville d'Arua, dans le nord-ouest, pour soutenir des candidats rivaux à la veille d'une élection partielle qui ressemblait à un duel par procuration.
Des opposants ont été accusés d'avoir jeté des pierres contre le cortège de Museveni, brisant une vitre de voiture. La police a répondu par des tirs à balle réelle et le chauffeur de Kyagulanyi a été tué.
Le député a été arrêté et accusé de trahison, avec des dizaines d'autres personnes. Il affirme avoir été torturé et violemment battu pendant sa détention.
Son candidat, Kassiano Wadri, a remporté l'élection.
"Comme Robert Mugabe"
Les allégations de torture contre Bobi Wine ont suscité la fureur de ses partisans. "Nous étions en colère et voulions nous assurer que Bobi allait bien", a dit Josephine Katumba, évoquant l'éruption des manifestations de rue qui ont suivi.
Libéré sous caution, Kyagulanyi s'est ensuite rendu aux États-Unis pour se faire soigner et a intensifié ses critiques à l'égard du régime, en promettant de revenir en Ouganda.
Le président semble incapable de s'adapter à cette nouvelle donne, lui qui, dans un récent discours sur l'état de la nation, s'est adressé à son auditoire en les traitant de "bazukulu", ce qui signifie "petits enfants".
"Nous voulons que Museveni fasse comme Robert Mugabe: qu'il accepte de partir", conclut l'un des employés du salon de coiffure.
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