Nauru, le plus petit pays insulaire du monde, vient d'accueillir le Forum des îles du Pacifique (Fip) mais a interdit aux journalistes l'accès aux camps de rétention où Canberra refoule les clandestins qui tentent de gagner l'Australie par la mer.
L'AFP a toutefois réussi à y pénétrer et à rencontrer des réfugiés dont la quasi totalité ont souhaité l'anonymat pour des raisons de sécurité.
A Nauru, près d'un millier de migrants dont une centaine d'enfants, sur 11.000 habitants, vivent dans huit camps financés par Canberra, certains depuis cinq ans, selon leurs récits.
Dans le camp numéro 5, que l'on atteint au détour d'un chemin sous une chaleur écrasante, dans un paysage hérissé de pitons rocheux, le Somalien Hrisi veut témoigner à visage découvert.
Il n'a plus peur, il n'a plus rien. Sa femme ne parle pas, son visage est inexpressif.
M. Hrisi la laisse seule le moins possible, à cause de sa dépression. Elle a tenté plusieurs fois de se suicider ces derniers jours, raconte-t-il.
"Quand je me suis réveillé, elle était en train de casser ça", dit-il en montrant des lames de rasoir jetables. "Elle allait les avaler avec de l'eau".
Problèmes psychologiques
M. Hrisi affirme qu'ils sont allés plusieurs fois à l'hôpital de Nauru financé par l'Australie mais que celui-ci refuse de les prendre en charge. L'autre nuit, "ils ont appelé la police et nous ont mis dehors".
Le camp numéro 1 traite les malades, expliquent les réfugiés. Mais il n'accueille qu'une cinquantaine de personnes car l'endroit croule sous les demandes. Or beaucoup de migrants vont mal et souffrent de problèmes psychologiques liés à leur isolement sur l'île.
Les évacuations sanitaires vers l'Australie sont rares selon eux.
Les ONG ne cessent de dénoncer la politique d'immigration draconienne de l'Australie.
Depuis 2013, Canberra, qui dément tout mauvais traitement, refoule systématiquement en mer tous les bateaux de clandestins, originaires pour beaucoup d'Afghanistan, du Sri Lanka et du Moyen-Orient.
Ceux qui parviennent à passer par les mailles du filet sont envoyés dans des îles reculées du Pacifique. Même si leur demande d'asile est jugée légitime, ils ne seront jamais accueillis sur le sol australien.
Canberra argue qu'il sauve ainsi des vies en dissuadant les migrants d'entreprendre un périlleux voyage. Les arrivées de bateaux, qui étaient quasiment quotidiennes, sont aujourd'hui rarissimes.
Le Refugee Council of Australia et l'Asylum Seeker Resource Centre ont dénoncé récemment les ravages psychologiques de la détention indéfinie, en particulier chez les enfants.
"Ceux qui ont vu ces souffrances disent que c'est pire que tout ce qu'ils ont vu, même dans les zones de guerre. Des enfants de sept et douze ans ont fait l'expérience de tentatives répétées de suicide, certains s'arrosent d'essence et deviennent catatoniques", écrivaient-ils.
R, une Iranienne de 12 ans rencontrée par l'AFP, a tenté de s'immoler. Elle vit à Nauru depuis cinq ans avec ses deux parents de 42 ans et son frère de 13 ans.
Les enfants passent leurs journées prostrés au lit. La mère a la peau couverte de plaques, elle dit souffrir et ne recevoir aucun traitement.
Essence et briquet
Le père a récemment surpris sa fille en train de s'asperger d'essence. "Elle a pris un briquet et elle a crié +Laisse-moi seule! Laisse-moi seule! Je veux me suicider! Je veux mourir!+".
Son fils sort lentement de son lit et confie d'une voix monocorde: "Je n'ai pas d'école, je n'ai pas de futur, je n'ai pas de vie".
Non loin de là, entre deux préfabriqués, une cuve est taguée du sigle "ABF" et d'une croix gammée. L'Australian Border Force est le service australien de contrôle des frontières, honni par les réfugiés.
Ces derniers se déplacent librement sur l'île car la prison, ce sont ses 21 kilomètres carrés.
Khadar reçoit un ami, un ancien gardien de buts professionnel camerounais qui raconte avoir secouru un voisin en train de se pendre. Son meilleur ami a été retrouvé mort, le nez et les yeux pleins de sang, sans qu'il sache la cause du décès.
Pas de perspectives, et pas de soins. Au grand désespoir d'Ahmd Anmesharif, un Birman dont les yeux coulent en permanence. Il explique souffrir aussi du cœur et passe ses journées sur un fauteuil en mousse moisie, à regarder la route.
Les défenseurs des droits dénoncent des conditions effroyables et font état d'accusations d'agressions sexuelles et d'abus physiques.
Les autorités de l'île démentent. Les réfugiés "mènent leur vie normalement, comme les autres Nauruans (…) on est très heureux de vivre ensemble", assurait ainsi lors du Fip le président de Nauru, Baron Waqa.
Mais les réfugiés soutiennent que leurs relations avec les Nauruans se détériorent.
"Ils nous frappent toujours, ils nous lancent toujours des pierres", accuse l'adolescent iranien.
Economie sous perfusion
Un autre Iranien, un mécanicien qui a réussi à monter un petit commerce, crie sa colère. Il vient de se faire voler "la caisse, les motos, les outils". "La police ne retrouve jamais rien quand ce sont les Nauruans qui volent les réfugiés", assène-t-il.
Si les conditions sont vétustes dans les camps, où la plupart des logements sont des préfabriqués, beaucoup d'habitants de Nauru semblent vivre dans des conditions plus précaires encore.
Bon nombre habitent des cabanes de tôle, les plages sont jonchées de détritus. Ils disent ne pas comprendre de quoi se plaignent les migrants.
En attendant, les camps sont cruciaux pour l'économie de l'île, exsangue depuis l'épuisement des réserves de phosphate qui avait contribué à l'opulence du siècle dernier.
Selon les chiffres australiens, les recettes publiques sont passées de 20 à 115 millions de dollars australiens (12 à 72 millions d'euros) entre 2010-2011 et 2015-2016, essentiellement grâce aux subventions australiennes liées aux camps.
"Si on enlève les réfugiés, Nauru est morte: c'est pour ça que le président tient à ce que nous restions", juge le Camerounais.
Mais tous les réfugiés rencontrés souhaitent partir, n'importe où pour certains.
"Au XXIe siècle, les gens pensent en secondes, en instants. Le gouvernement australien a volé cinq ans de notre vie… qui s'en soucie?", regrette le père de la petite Iranienne.
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