Les deux principaux accusés, Esteban Morillo et Samuel Dufour, 25 ans, ont effectué plusieurs mois de détention provisoire et comparaissent libres. Renvoyés devant le tribunal pour des violences "ayant entraîné la mort sans intention de la donner", commises en réunion et avec arme - un poing américain -, ils encourent jusqu'à 20 ans de réclusion criminelle.
Un troisième skinhead, Alexandre Eyraud, 29 ans, sera lui jugé pour des violences aggravées passibles de 5 ans d'emprisonnement.
Depuis cinq ans, les "antifas" dénoncent un "assassinat politique" et les identitaires plaident une légitime "autodéfense". Les débats devront lever les incertitudes sur plusieurs points: y a-t-il eu ou pas usage d'une arme, volonté de tuer ou énième bagarre qui tourne mal ?
Le 5 juin 2013 vers 18H00, des "skins" et des "antifas" s'étaient retrouvés à la même vente privée de vêtements, dans une boutique des grands boulevards parisiens. La rencontre semble fortuite: en dehors des polos siglés Fred Perry ou Ben Sherman, tout sépare les militants d'extrême gauche et les identitaires d'extrême droite.
Les jeunes se toisent, s'invectivent ou se provoquent. Quarante minutes plus tard, une rixe éclate au pied de l'église voisine Saint-Louis d'Antin: Clément Méric, étudiant à Sciences-Po qui se remet tout juste d'une leucémie, s'écroule.
Son décès, prononcé le lendemain, fait resurgir le spectre des violences de l'extrême droite, dont les rangs s'étoffent alors à la faveur de manifestations contre le mariage homosexuel.
"100% pure race"
Le gouvernement promet de punir "les assassins", puis dissout plusieurs groupuscules identitaires et racistes dont étaient proches certains des accusés, à l'instar de Troisième Voie et de son service d'ordre, les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR), dirigées par une figure tutélaire de la mouvance, Serge Ayoub.
Au terme de l'enquête, les juges concluent à une rencontre imprévue qui a dégénéré en bagarre, mais écartent l'intention homicide.
Esteban Morillo a reconnu avoir frappé Clément Méric, mais toujours nié avoir fait usage d'un poing américain, circonstance aggravante aux coups mortels. "Deux coups, à mains nues" et "c'est tout", selon sa défense.
Quant à Samuel Dufour, qui portait des bagues mais "pas de poing américain", il "n'a porté aucun coup à Méric", selon son avocat Antoine Vey.
Les débat seront déterminants, face à des expertises médicales qui se contredisent et des témoignages divergents.
Certains ont vu Esteban Morillo armé d'un poing américain, d'autres pas. En garde à vue, Morillo lui-même affirme que Dufour frappait les "antifas" à l'aide d'un poing américain. Et le soir-même, Samuel Dufour envoie des SMS à un ami: "J'ai frappé avec ton poing américain", "On les a défoncés".
Les récits s'accordent sur l'atmosphère électrique de la rencontre: "Les nazis viennent faire leurs courses" a lancé un "antifa" aux "skins" arborant tee-shirts "White power" ou "100% pure race". Clément Méric est décrit par un agent de sécurité comme "fluet" mais "virulent".
Les antifascistes quittent la vente mais restent dans la rue. Un vigile demande aux skins de sortir par la droite, pour éviter toute rencontre. Ils partent à gauche. Chaque camp s'accuse ensuite d'avoir frappé le premier.
Pour Serge Ayoub, alias Batskin, qui accueille les accusés le soir-même dans son bar, les "antifas" "ont attendu les +petits fachos+". Pour lui, Méric n'était pas de taille: "Il a joué, il a perdu".
Au contraire, pour ses camarades de l'Action antifasciste, Clément n'était "pas violent", mais "refusait de baisser les yeux". "Si Clément a été tué, c'est parce qu'il était un antifasciste. C'est un meurtre politique, pas une bagarre entre bandes", a déclaré l'un d'eux à l'AFP.
La mort du jeune homme est resté un "traumatisme" pour l'ultra gauche, très visible dans les manifestations anti-gouvernementales, mais qui peine à élargir son assise, quand les identitaires semblent se renouveler, notamment à Lyon, selon plusieurs experts.
Lundi soir, près de 300 sympathisants antifascistes se sont rassemblés non loin du palais de justice pour réclamer la "vérité" sur la mort de leur camarade.
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