Cette retraitée de 88 ans vivant au Bélarus fait partie de ces "enfants de France", comme les a surnommés la presse bélarusse, emmenés par leurs parents qui avaient cru aux sirènes de la propagande soviétique et répondu à la vague de rapatriement lancée par Moscou.
A leur arrivée en URSS, ils ont perdu leur nationalité d'origine, découvert le dénuement et, pour les moins chanceux, la répression politique.
"J'aurais pu bien sûr accomplir plus de choses en France qu'ici. Mais il est évidemment trop tard pour revenir. J'aimerais revenir au pays, retrouver notre maison. Et peut-être voir Paris… Je n'ai jamais été à Paris", soupire Ianina Statchko, rencontrée par l'AFP dans une ferme de l'ouest du Bélarus, près des frontières polonaise et lituanienne.
Comme de nombreuses autres, sa famille est arrivée en France en 1929, en provenance de Pologne, pour pallier le manque d'ouvriers dans les mines du Nord alors paralysées par des grèves.
"En France nous vivions bien. Nous avions une maison que mon père avait obtenue de la mine", se souvient l'octogénaire.
Arrestations dès l'arrivée
Mais son père, après la Deuxième guerre mondiale, perd son travail. Et la région bélarusse dont il est originaire est rattachée à l'URSS. Commencent alors des discussions dans le foyer, qui lit la presse soviétique et sa propagande.
A l'époque, l'URSS entreprend une grande campagne de rapatriement: prisonniers, travailleurs forcés, réfugiés de guerre soviétiques; mais aussi immigrés et exilés ayant fui après la révolution bolchévique.
En 1952, les statistiques soviétiques estimaient à 4,3 millions le nombre de rapatriés - déplacés de guerre et anciens exilés - venus principalement d'Europe continentale (Allemagne, Autriche, Roumanie, France, Pologne, Italie) mais aussi du Royaume-Uni et même des Etats-Unis.
"Mon père a finalement dit qu'il souhaitait rentrer à la maison. Mais moi, personne ne m'a demandé mon avis", raconte Ianina Statchko, qui était devenue couturière en France.
En 1948, la famille quitte Marseille pour Odessa, en Ukraine, avec 2.800 autres rapatriés.
"Nous voyagions comme des ouvriers, en troisième classe. Des personnes en première et deuxième classes emmenaient avec eux leur voiture, d'autres leurs biens, certains laissaient en France une entreprise. Il y avait des médecins, des ingénieurs, des enseignants...", énumère Ianina Statchko.
A l'arrivée, les passagers des première et deuxième classes subissent immédiatement la répression stalinienne.
"Ils les ont arrêtés et ont confisqué leurs biens", résume la vieille dame, dont la famille, privée de passeports français, est transportée dans des wagons à bestiaux au Bélarus.
Devenu employé d'un kolkhoze, son père ose un jour s'exprimer: "Lors d'une réunion de paysans, mon père a craqué et s'est mis à gronder le président (du kolkhoze). Il a pris un an de prison pour +subversion contre la collectivisation+".
"Nous avons été très effrayés et nous sommes restés silencieux. Où aurais-je pu étudier? Pendant cette période, on essayait juste de vous faire taire. J'envoyais des lettres en France mais j'ai arrêté parce que nous avions peur", poursuit Ianina Statchko.
Retrouvés par la France
Grâce à une machine à coudre française miraculeusement conservée, la famille de Ianina survit à la faim et aux maigres rations d'après-guerre. Jusque dans les années 1970, elle coud des robes à la mode française des années 1940.
En 1973, la France retrouve la trace de son père et lui verse jusqu'à sa mort, puis à sa femme, une retraite confortable pour son travail dans les mines françaises.
Mais avec la dislocation de l'URSS, la trace de ces anciens Français se perd dans les années 1990.
En janvier dernier, la presse locale bélarusse fait resurgir l'histoire de Ianina Statchko. Début juillet, elle est invitée à l'ambassade de France à Minsk avec une dizaine d'"enfants de France" et leurs descendants.
De l'ambassadeur français, l'ancienne couturière a obtenu la promesse d'un dernier voyage dans le village du nord de la France où elle a vu le jour il y a près de 90 ans.
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