Cette matinée-là, ils sont une petite dizaine, infirmiers, aide-soignants, anciens patients, de l'hôpital ou d'autres établissements de la région, attablés autour d'une tasse de café et de pains au chocolat. On discute avenir du mouvement, on compare les situations.
"On est très solidaire de la souffrance des patients et des soignants", explique Elodie Bru, psychologue depuis 17 ans en pédopsychiatrie dans un service rattaché à Philippe Pinel.
"Ce qui est en jeu, c'est l'humanité au sein de l'hôpital", résume-t-elle, déplorant la "déshumanisation des soins, la non prise en compte du patient par les logiques budgétaires".
Depuis quatre ans, quatre unités ont fermé, et une dizaine de médecins sont partis ou ont décidé de partir.
Symboles d'un hôpital "en train de crever", "qualité de soin", "sécurité", "santé", "bientraitance" ont été inscrits sur des croix plantées dans l'herbe.
Clément Rohaut, infirmier en psychiatrie à Abbeville, à une cinquantaine de kilomètres, est venu soutenir ses confrères, qui se relaient sur ce campement improvisé d'une quinzaine de tentes, en bordure de rond-point où s'alignent les banderoles.
"Boule de neige"
"On se sent concerné", explique le jeune infirmier de 28 ans, qui compte quitter la psychiatrie, à cause, entre autres, des conditions de travail.
"Les problèmes à Pinel font boule de neige", poursuit-il. "Les patients font des va-et-vient. A Abbeville, on reçoit des patients d'ici, avec le risque d'une double prise en charge ou d'une prise en charge incomplète."
Un malaise que partagent d'autres professionnels de santé, comme Valérie Choquet, aide-soignante en gériatrie. "On est dans le même cas de figure. Moralement et physiquement on n'en peut plus", raconte-elle, venue signer la pétition.
Le mouvement, commencé le 15 juin, est soutenu par la CGT, FO, et Sud, et par des anonymes: des automobilistes klaxonnent régulièrement à leur passage, d'autres s'arrêtent et viennent échanger quelques mots.
"La casse systématique du service publique me prend aux tripes", lâche Hélène Sinoquet, professeure dans un quartier difficile, tandis que les larmes lui montant aux yeux. "Une amie très proche a fait plusieurs séjours ici pour des problèmes de santé mentale, et un cousin est suivi à Paris. La psychiatrie, on risque tous d'en avoir besoin un jour."
Le personnel mobilisé a déjà récolté environ 70 "bouteilles à la mer" qu'ils remettront à l'Agence régionale de santé (ARS) le 5 septembre, pour "témoigner du soutien de la population".
Au cœur de leurs revendications: la réouverture de deux unités, l'embauche de 60 personnels soignants et la titularisation de tous les contractuels.
"Les difficultés, je les vois au quotidien", raconte Emmanuel Van Hoecke, infirmier et représentant FO, qui prédit 70% de postes de psychiatres vacants d'ici à la fin de l'année.
Ce dont se défend la direction, qui rappelle l'embauche de dix infirmiers et d'au moins trois médecins, malgré les "difficultés à recruter" des psychiatres.
Le "mirage ambulatoire"
"La réorganisation en cours a pour objectif de changer de mode de prise en charge. C'est un long mouvement, d'aller vers plus d'ambulatoire", résume Pierre-Alban Pillet, directeur des ressources humaines, rappelant les 7 millions d'aides exceptionnelles versées par l'ARS depuis 2011 plus un million en juillet.
L'hôpital, construit au XIXe siècle sur une trentaine d'hectares dont une partie est en cours de rénovation, compte 238 lits et emploie au total 995 personnes, dont 71 médecins (soit 64 équivalents temps plein).
Si des postes ont été supprimés, d'autres ont été déployés et des unités spéciales créées "pour être au plus près des besoins" et accompagner les patients en ville, selon la direction, qui cite en exemple la sortie de 84 patients depuis un an, avec seulement quatre réhospitalisations.
Un discours qui ne convainc pas les syndicats, qui parlent d'un "mirage ambulatoire" et refusent de rencontrer la direction, si une table ronde plus large n'est pas organisée.
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