Fragments de vie de ces cités de cabanons, où une misère noire et l'absence d'avenir règnent en maîtres:
Naissances
"Je veux que ma fille voie un jour la Birmanie", confie Setara, jeune mère de 20 ans d'une nouvelle-née de huit jours. "Mais je n'y retournerai pas si tout le monde ne revient pas aussi."
Le nourrisson a vu le jour dans une hutte de bambous du camp de réfugiés de Thangkhali, où la famille a atterri l'année dernière durant l'exode de 700.000 musulmans rohingyas fuyant une épuration ethnique de l'armée birmane.
Durant sa grossesse, Setara ne s'est pas adressée aux centres médicaux gérés dans les camps par des ONG. Comme nombre de femmes rohingyas, elle a recouru à une sage-femme traditionnelle, appelée "diama", pour l'accouchement.
Ces sages-femmes sont un rouage essentiel de la vie des camps, alors que pas moins de cinq mille bébés devraient y naître au cours des prochains mois, selon le Fonds des Nations unies pour la population.
Les femmes enceintes sont censées leur fournir du matériel de base: du linge frais, des ciseaux, une aiguille, un pot d'eau propre... Antalgiques et antibiotiques sont introuvables.
Mais tous les réfugiés ne peuvent s'offrir un accouchement décent, et l'acte se pratique bon gré mal gré, avec les moyens du bord.
"Parfois j'ai des gants, mais s'il n'y en a pas je fais l'accouchement à mains nues", témoigne Majuna Begum, diama de 60 ans qui a accompagné gratuitement la naissance de 22 bébés au cours des neuf derniers mois.
Le taux de natalité au sein des nouveaux réfugiés est potentiellement dangereux pour les femmes et insoutenable sur le long terme dans ces camps surpeuplés, insalubres et où les ressources sont rares, s'alarme la communauté humanitaire.
Dix pour cent des naissances surviennent avec des complications. Sans soins médicaux appropriés, les risques d'infection ou de blessure de la mère, ainsi que d'asphyxie du bébé, sont élevés.
Pourtant, la contraception reste taboue pour les hommes rohingyas, issus d'une société rurale très conservatrice.
"Ils ne veulent vraiment pas l'utiliser car c'est un problème religieux et culturel", constate Shapta Aktar, expert du planning familial.
Mariage
"BIEN VENUE AU JOUR DU JOYEUX MARIAGE 10.08.2018", proclame une inscription rose à l'intérieur d'une cahute aux palissades palmier tressé. Les décorations de papier coloré contrastent de façon incongrue avec la boue et les égouts de la rue.
Des familles fêtent les noces de Wahidur Rahman, jeune homme de 21 ans né et élevé dans les camps, et sa nouvelle femme Nur Kaida. Cette dernière a 18 ans, assure le mari. Les voisins disent qu'elle est plus jeune mais sont réticents à donner un âge.
Les Rohingyas se marient jeunes. Cependant dans la promiscuité et le désœuvrement des camps, de plus en plus d'adolescentes sont mariées à la hâte à des hommes qu'elles connaissent à peine.
Vêtues de leurs plus belles tenues chatoyantes, tatouées au henné, des femmes mènent le cortège nuptial dans une allée étroite entre les cabanes. Des hauts-parleurs montés sur deux rickshaws diffusent de la musique à plein volume.
Conformément à la tradition, la mariée a le visage dissimulé sous un tissu. Les proches de son mari doivent la déloger de son domicile parental, un rituel qui dégénère vite en joyeuse bataille d'eau.
"Je suis heureux", confie Wahidur en grillant une cigarette à l'abri des regards de sa famille.
"Le mariage a été arrangé par nos parents", raconte-t-il. "La dernière fois que je l'ai vue, elle était jeune, elle est restée à l'intérieur depuis." Les adolescentes rohingyas sont souvent cloîtrées chez elles par leur famille jusqu'au jour de leurs noces.
Les réfugiés rohingyas historiques comme Wahidur, legs de vagues de violences précédentes, craignent d'être négligés par les organisations humanitaires face aux besoins urgents de la vague de derniers arrivants, d'une ampleur inédite.
"J'ignore ce qu'il va advenir", dit-il. "Cela dépendra de la volonté de Dieu."
Mort
Najmul Islam est mort dans une bicoque de bord de route à l'âge de 72 ans, après des mois à souffrir de tuberculose et de jaunisse.
Ancien soldat de l'armée birmane, ce bouddhiste s'était converti à l'islam alors qu'il était quinquagénaire et avait épousé Mabia Khatun, une Rohingya alors âgée de 15 ans. Une rare union intercommunautaire dans l'ouest de la Birmanie, où les haines ethniques et religieuses sont féroces.
"C'était un homme bien", sanglote sa veuve, séchant ses larmes d'un coin de son foulard. Au contact du linceul gris dans lequel il repose, le nez et les lèvres du défunt se devinent sous le tissu.
La famille a fui l'année dernière le village birman de Tula Toli, théâtre selon des témoignages concordants de villageois d'un grand massacre par les forces de sécurité birmanes - ce que celles-ci démentent.
Avant de pouvoir rejoindre les siens au Bangladesh, Najmul a été détenu un mois par les militaires birmans.
"Ils demandaient continuellement 'Pourquoi t'es-tu converti et vis-tu avec ces gens-là ?'", relate sa femme. Il laisse derrière lui dans les camps quatre jeunes enfants, ainsi que cinq autres en Birmanie d'un précédent lit.
Un homme âgé avec une barbe et une calotte de prière mesure précautionneusement, à l'aide d'un bambou, la taille du corps pour l'enterrement.
Najmul Islam sera inhumé dans un petit cimetière bien ordonné sur une colline voisine, oasis de calme dans l'effervescence des camps rohingyas.
burs-apj/amd/cac
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