"On ne vend pas, mais on est obligés de venir pour gagner notre pain", soupire Mme Baykal en regardant ses sacs de pourpier et de pommes de terre.
Ici, pour les commerçants, cette disette s'explique facilement par la crise diplomatique entre Ankara et Washington, notamment déclenchée par la détention puis le placement en résidence surveillée d'un pasteur américain.
L'annonce de sanctions contre la Turquie -- qui a rapidement répliqué -- a fait s'effondrer la devise turque, déjà fortement affaiblie en raison de la défiance des marchés face aux politiques économiques d'Ankara.
La livre a ainsi perdu près de 20% de sa valeur face au dollar en un mois, et près de 40% depuis le début de l'année.
Et cela se ressent dans les prix. Yakup Kurdi hausse les épaules devant son étal de fruits. Avant, le paquet de 200 sachets en plastique lui coûtait 6,5 livres, maintenant quasiment le double.
Pour faire face, il a dû augmenter ses prix, 50 centimes çà et là.
Ilhan Geçgel, qui tient un étal un peu plus loin, laisse éclater sa colère.
"Je vends mes fruits, mais je souffre lorsque je les vends. Le kilo de figues est à 10 livres. Est-ce possible ?", s'emporte-t-il. "C'est absurde. Elles devraient être à 4 ou 5 livres".
"Les gens ne peuvent même plus organiser les mariages de leurs enfants", ajoute-t-il.
Pouvoir d'achat
Si les commerçants se plaignent du manque de monde, et l'imputent à la crise de la livre turque, Semra Kalayci, une avocate habituée du marché, tempère et met cela sur le compte de l'été et des vacances.
En revanche, elle a bien remarqué l'explosion des prix : les amandes qu'elle a achetées la semaine dernière à 55 livres lui en coûtent aujourd'hui 70.
"Et comme nos salaires n'ont connu aucune augmentation, cela nous affecte beaucoup", regrette-t-elle, son petit sac de courses à la main.
L'inflation n'a pas attendu la crise avec les Etats-Unis pour exploser. En juillet, elle était à quasiment 16% en rythme annuel. Et les économistes préviennent que la crise de la livre risque de pousser l'inflation au-dessus des 20% dans les mois à venir.
Les secteurs les plus affectés ont notamment été les transports, dont les prix ont augmenté de plus de 24% en un an, et l'alimentation (+19,4%).
Altay Gültekin, un retraité lui aussi venu faire quelques emplettes, confie qu'il a dû réduire son niveau de vie en conséquence.
"Il n'y a pas une famille qui ne parle pas de cela chez elle", dit-il.
"Panique"
Les économistes mettent en garde depuis des mois contre une surchauffe de l'économie, avec une inflation galopante, un déficit des comptes courants qui se creuse et une croissance élevée.
Les marchés s'inquiètent également de la mainmise croissante du président turc Recep Tayyip Erdogan sur l'économie, renforcée après sa réélection en juin.
Mais celui-ci dénonce un "complot" visant à mettre la Turquie à genoux et a appelé les Turcs à échanger leurs devises étrangères en livres.
Un appel que réitère Ayse Celiktas, une femme au foyer venue faire ses courses, et qui déplore que le dollar puisse ainsi affecter l'économie turque.
"N'allons pas retirer nos livres pour les changer en dollars", insiste-t-elle. "L'or aussi a de la valeur. Que nos bijoutiers y gagnent un peu !"
En Turquie, l'or est un investissement traditionnel et un cadeau courant.
A quelques kilomètres de là, dans la vieille ville, les colliers et bracelets en or font scintiller les vitrines de la bijouterie de Hakan Karakiliç.
De prime abord, la crise a nettement affecté son commerce, mais la situation s'est un peu rétablie, après des mesures et des annonces des autorités, assure le commerçant.
Un autre bijoutier, installé non loin mais qui a requis l'anonymat, est moins optimiste.
"Quand les prix de l'or et du dollar augmentent, ça ralentit immédiatement notre activité", expose-t-il.
L'effet est immédiat: "Les gens paniquent, s'inquiètent de ce qu'il va se passer".
Pour lui, "tout le monde se retrouve dans l'attente".
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